MURAKAMI, Haruki

Danse, danse, danse

Le narrateur, 34 ans, journaliste divorcé, chargé de faire du “déneigement culturel” et qui a déjà connu quelques drames (La Course au mouton sauvage), est en proie à des rêves étranges. Quelqu'un, quelque part, l'appelle, lui demande de l'aide. Il pense qu'il s'agit de Kiki, une mystérieuse call-girl avec laquelle il a entretenu pendant quelques mois une vraie relation, à Sapporo. Il retourne à Sapporo, à la recherche de l'hôtel du Dauphin, où il a vécu avec elle. Au lieu de l'hôtel poussiéreux qu'il a connu, il trouve un hôtel ultra-moderne qui a cependant conservé le même nom. Il apprend par une standardiste qui l'attire beaucoup, Yumiyoshi,qu'il s'y passe des phénomènes étranges : en prenant l'ascenseur, on peut se retrouver dans un couloir radicalement obscur qui n'est pas un couloir de l'hôtel. Le narrateur tente l'expérience : au bout du terrifiant couloir, qui a l'odeur de l'ancien hôtel, il retrouve l'homme-mouton. Celui-ci lui apprend que ce lieu existe pour lui et que lui-même est là pour le connecter à ce qu'il cherche confusément. Et qu'en attendant d'avoir compris et trouvé l'objet de cette quête mystérieuse, il faut qu'il continue de danser, danser, danser…
Peu après, le narrateur, en allant voir Amour sans espoir, un navet dans lequel joue son élégant ami d'enfance Gotanda, découvre une brève scène d'amour où apparaît Kiki : le voilà connecté. Il quitte alors Sapporo et Yumiyoshi, promettant de revenir. Il profite de son retour à Tokyo pour raccompagner Yuki, 13 ans, plantée là par sa mère, photographe géniale mais totalement inapte à s'occuper des autres, les vidant au contraire de leur énergie. L'adolescente ultra-sensible, dont le père est tout aussi incapable de s'occuper, s'attache à lui au cours de longues promenades musicales en auto - et lui révèle qu'elle a une sorte de don - cadeau empoisonné - qui lui permet de percevoir des ambiances ou de percer certains mystères.
A Tokyo, le narrateur retrouve Gotanda mais Kiki lui échappe toujours : elle s'est volatilisée un beau jour. Il passe une délicieuse nuit avec une autre call-girl, May, qui est assassinée peu après. Pour se distraire du souvenir de May et la police qui l'interroge, le narrateur part avec Yuki pour retrouver à Hawaï la mère de celle-ci. Il croit un soir retrouver Kiki et poursuit dans la rue son fantôme : elle le guide jusqu'à un sombre appartement où il voit des squelettes, dont un manchot. Plus tard, lorsque tout le monde sera rentré au Japon, le narrateur apprendra la mort de Dick Nose, l'amant manchot de la mère de Yuki. Hanté par ses morts reliées autour de lui, il retourne voir une énième fois, avec Yuki, Amour sans espoir. Yuki est prise de malaise : elle perçoit que Gotanda a tué la jeune femme (mais pas May). Mis devant ce fait, Gotanda avoue tout avant de se suicider.
Dans ses rêves, le narrateur se reconnecte alors à Kiki : celle-ci lui explique qu'elle va et vient entre ce monde et un monde parallèle, qu'elle a permis à Gotanda de la tuer pour le soulager de ce besoin qu'il portait en lui. Elle explique enfin au narrateur que l'homme mouton, comme elle-même et d'autres existent pour pleurer à sa place toutes les larmes que lui ne pleure pas. Au fond, personne ne l'appelle à l'aide, si ce n'est lui-même.
En quelque sorte délivré de sa quête, le narrateur peut reprendre pied dans la réalité. Il retourne à Sapporo, retrouve Yumiyoshi et entame avec elle une relation amoureuse. Si le monde parallèle est encore proche, c'est une nouvelle vie que commence le héros, en versant quelques larmes.

Un style sec, sans circonvolution, plutôt agréable, qui fait la part belle à l'autodérision (ex : le nom du père de Yuki, écrivain raté, est un anagramme de celui-ci de l'auteur). Le recours au fantastique n'est pas trop pesant et il est justifié du rapport que le narrateur entretient avec la réalité. Ce dernier, avec sa vie marginale, sa bizarrerie que tout le monde lui renvoie à la figure, son fonctionnement lunaire et lucide, sa confusion et sa sagesse, est attachant. Beaucoup de réflexions plutôt justes sur notre “société capitaliste à haut rendement”, la solitude, les impasses des uns et des autres, les tensions des relations (l'usure, ce que les uns prennent et les autres donnent), la difficulté de la communiquer (la chute est à cet égard exemplaire).

2008-02

Kafka sur le rivage

Grossièrement résumé, Kafka sur le rivage est la quête d'un adolescent en fugue, Kafka Tamura, qui cherche à comprendre pourquoi sa mère l'a abandonné à l'âge de quatre ans entre les mains d'un père qu'il déteste. Le roman est placé sous l'égide d'Oedipe - le père de Kafka lui ayant prédit qu'il tuerait son père et coucherait avec sa mère et sa sœur - et le roman se déroule avec la même fatalité qu'une tragédie grecque. “Tout est métaphore”, comme le dit Oshima-san, l'hermaphrodite qui prend Kafka sous son aile, et c'est particulièrement vrai dans ce livre. La quête de Kafka - qui s'est baptisé ainsi parce que le mot signifie “corbeau” en tchèque et que l'adolescent est accompagné d'un “garçon nommé Corbeau”, sorte de double plus lucide qui réside en chacun de nous - la quête de Kafka donc, est avant tout onirique. C'est par rêve interposé qu'il pense avoir tué son père (lequel est effectivement assassiné à Tokyo, alors que le garçon se réveille au même moment couvert de sang à Takamatsu) et qu'il viole sa “sœur”, c'est-à-dire Sakura, une jeune femme qui l'aide un soir et qui pourrait effectivement être sa soeur. Quand à sa mère, elle s'incarne à ses yeux sous les traits de Melle Saeki, la directrice de la bibliothèque Komura, où il se cache grâce à l'intervention d'Oshima-san, dont il a attiré l'attention en passant ces journées à lire dans cette bibliothèque. Kafka tombe amoureux de Melle Saeki - une belle femme, morte vivante depuis qu'elle a perdu à 20 ans l'amour de sa vie - et couche effectivement avec elle (rêve ou réalité ?). Suite à une labyrinthique plongée en lui-même, symbolisée par un périple en forêt profonde - Kafka comprendra que sa mère l'a abandonné parce qu'ayant déjà perdu une fois un grand amour, elle craignait de se voir arracher un jour son petit garçon, préférant donc prendre les devants. En pardonnant, l'adolescent peut retourner à la vie avec un regard neuf.
Parallèlement à la quête de Kafka, le lecteur suit celle de Nakata. Nakata connut dans son enfance un incident qui lui fit perdre la mémoire, la capacité de lire et d'écrire, qui diminua son ombre de moitié, mais lui permit de parler avec les chats. Il mène une vie simple et bienheureuse jusqu'au jour où il croise Johnny Walken, un tueur de chats qu'il assassine dans un moment où il ne se possède plus lui-même (c'est en fait le père de Kafka qu'il tue ainsi). Commence alors pour lui une chevauchée fantastique, bientôt accompagné d'un jeune chauffeur routier, Hoshino, qui quitte son travail pour le suivre et l'aider, fasciné par l'étrange viellard. Le vieux Nakata est conduit par la main du destin à Takamatsu. Là, il doit trouver la pierre de l'entrée - celle que Melle Saeki a ouverte une fois pour pouvoir vivre dans ses souvenirs, se retrouvant, comme Nakata, avec une ombre diminuée de moitié - et inciter Melle Saeki à s'abandonner à la mort qu'elle attend, pour pouvoir refermer la pierre. Lui-même meurt peu après le décès de Melle Saeki. C'est donc seul qu'Hoshino referme la pierre : entre temps, le jeune homme s'est révélé à lui-même, comprenant la vacuité de son existence grâce à Nakata et à la découverte de Beethoven, et se promettant une vie moins sotte. Signe de sa nouvelle stature, il hérite de la capacité de parler au chat.
Kafka sur le rivage est souvent considéré comme le meilleur roman de Murakami. La mise en parallèle de deux mondes aux frontières poreuses - celui du réel et celui, bien plus terrifiant, de l'inconscient - sous le patronage de la tragédie grecque et d'une partie de la littérature occidentale - Kafka, entre autres - est certes intéressante. Pourtant je lui préfère la sobriété de la Course au mouton sauvage, une oeuvre moins bardée de références (occidentales), moins lyrique, complètement dépourvue de romantisme et où souffle une ironie glacée qui manque dans Kafka.

2009-07

La ballade de l'impossible

Watanabe, le narrateur, perd à l'âge de 17 ans son meilleur ami Kizuki, qui se suicide sans laisser un mot ni le moindre indice sur ces motivations. Il laisse seule sa petite amie et amie d'enfance, la belle et fragile Naoko, que Watanabe perd de vue quelques années, alors qu'il était très proche du couple que sa présence semblait mieux souder. Lorsque devenu étudiant à Tokyo il croise Naoko, c'est pour progressivement tomber amoureux de cette jeune fille qui peine à exprimer ses sentiments mais qui n'en est pas moins attachante. Le soir de son anniversaire, Naoko semble enfin être mesure de s'exprimer librement, avant de tomber en larme. Watanabe lui fait l'amour : Naoko, extrêmement perturbé par sa douleur (première fois) puis par son plaisir, disparaît le lendemain. Après un long silence, elle lui écrit d'un sanatorium perdu dans la montagne, où des gens avec divers problèmes psychologiques vivent quelque peu abrités du monde. Il ira la voir deux fois, espérant sa guérison, sa sortie, comprenant ses difficultés avec l'amour et le sexe. A l'occasion de ces visites, il fait la connaissance de Reiko, une femme plus âgée qui partage l'appartement de Naoko dans le sanatorium et qui a connu elle aussi plusieurs crises. Enfin, à Tokyo, il rencontre Midori, une étudiante elle aussi à fleur de peau, extravertie et obsédée par le sexe, mais meurtrie par son rapport avec ses parents et le décès de ces derniers (cancers).
Malheureusement, Naoko ne guérit pas. Le flirt avec Midori, qui reste relativement chaste, va bon train, malgré des aléas dûs à l'ambiguité de leurs situations respectives. Lorsque Watanabe apprend le suicide de Naoko, il commence cependant par s'éloigner de Midori, errant avec sa douleur dans tout le Japon, se sentant coupable de n'avoir pu l'aider et refusant la mort de cet être délicat. C'est finalement Reiko qui le remet sur le chemin de la vie - tout en s'y replaçant elle-même - en lui rendant visite, en lui racontant la mort de Naoko, en organisant des secondes funérailles symboliques et moins tristes et en couchant avec lui avant de tenter de se construire une vie nouvelle, hors du sanatorium. Watanabe est alors à nouveau capable d'appeler Midori et de commencer avec elle une vie nouvelle.
Comme beaucoup de héros de Murakami, Watanabe a une étrange disponibilité envers les autres (comme s'il était creux) et une inévitable franchise : il semble façonné par les rencontres et les événements, mais cette curieuse disposition rétroagit sur son environnement et s'est ainsi qu'il trouve son chemin.

2010-05

La course au mouton sauvage

Le narrateur est un tout juste trentenaire divorcé qui semble traverser la vie sans que rien ne s'attache à lui. Il a monté avec un ami une petite boîte de publicité. Il reçoit un jour d'un ami évaporé, dit Le Rat, une photo représentant des des moutons dans une plaine montagneuse d'HokkaÏdo, à publier où bon lui semble. Après cette publication, l'agence reçoit la visite d'un yakuza, disciple du Maître mourant d'un empire souterrain. Le yakuza demande le retrait et l'origine du cliché. Dans le troupeau figure en effet un étrange mouton étoilé. Cet animal aux étranges pouvoirs et aux sombres desseins anarchiques a longtemps habité le corps du maître, qui a constitué sous son inspiration son formidable empire. C'est parce que le mouton l'a déserté qu'il se meurt. Le yakuza cherche à retrouver l'inspiration et les pouvoirs de l'animal pour perpétuer l'empire. Le narrateur refusant de dénoncer son ami, c'est lui qui part pour Hokkaido à la recherche du mouton, entraînant dans sa quête sa maîtresse aux fascinantes oreilles, Kiki. Guidé par un secret instinct la jeune femme l'emmène à l'hôtel du Dauphin de Sapporo, un établissement viellot qui abrite un docteur ès moutons, lequel a jadis brièvement servi de véhicule au mouton étoilé. Sur ses indications, ils partent pour village reculé et de là vers la plaine où a été pris le cliché et où se trouve la maison du Rat. Rapidement, Kiki s'éclipse pour laisser le narrateur seul face à un étrange homme-mouton, dont il finit par comprendre qu'il est une apparition du Rat. Ce dernier s'est suicidé avant que le mouton étoilé ne prenne complètement possession de lui, afin de mettre un terme à son influence néfaste en l'entraînant dans la mort. Le Rat demande au narrateur de partir après avoir effectué quelques branchements dans la maison. Sur le chemin du retour, il croise le yakuza - lequel s'est servi de son innocence pour attirer l'homme-mouton - et lui dit qu'il est attendu dans la maison, laquelle explose dès qu'il y pénètre. Doublement manipulé, par le Rat et par le yakuza, le narrateur a perdu sa maîtresse et son boulot. Reste un électron libre, détaché de tout, qu'on retrouvera dans Danse, danse, danse.

2009-05

Les amants du Spoutnik

K., un jeune enseignant, est amoureux de Sumire, avec laquelle il partage la même passion pour la littérature. La jeune femme, qui veut devenir écrivain, le considère comme son meilleur et indispensable ami, mais n'éprouve à son égard aucune attirance sexuelle. Son désir à elle va vers Miu, une coréenne d'une quinzaine d'années plus vieille, qui l'embauche comme secrétaire. Miu et Sumire partent en voyage d'affaires et font une pause sur une île grecque. De là Miu contacte K. car Sumire disparaît. La nuit précédente, Sumire a avoué son désir à Miu qui s'est laissée faire par amitié pour Sumire, mais sans pouvoir la payer de retour. Miu est devenue définitivement frigide depuis une expérience schizophrène en Suisse. Alors qu'elle reste coincée une nuit dans une grande roue dans un parc d'attraction à côté de son logement, elle s'observe à la jumelle, dans son appartement, en train de faire l'amour de façon obscène avec un homme qui lui répugne. Depuis la pianiste qu'elle était est devenue incapable de jouer du piano et n'a jamais pu retrouver une sexualité normale, laissant une partie d'elle-même de l'autre côté du miroir. Miu et des documents laissés par Sumire apprennent tout cela à K. L'un comme l'autre pensent que la jeune fille ne s'est pas suicidée, mais elle demeure introuvable. K. finit par penser qu'elle est passée de l'autre côté du miroir pour rejoindre Miu. Plus tard, rentré au Japon, il reçoit un appel de Sumire, qui lui dit de venir la retrouver, mais la conversation coupe. K. se dit cependant qu'il n'est pas si éloigné d'elle, puisqu'ils regardent le même ciel et gardent la même entente profonde.

Est-ce l'histoire qui est creuse ou moi-même qui suis vide. Autant j'ai pu accrocher parfaitement aux histoires étranges que raconte Murakami, autant cette fois-ci je suis complètement passée au travers, avec un sensation d'être confrontée à un faux mystère et beaucoup de propos illusoirement profond. Peut-être n'ai-je rien compris des subtilités de ce roman ?

2010-08

 
litterature/fiches/murakamiharuki.txt · Dernière modification: 2010/08/20 15:33 (édition externe)     Haut de page