CHATEAUBRIAND, François-René de

Mémoires d'outre-tombe

7 mois : c’est le temps qu’il m’a fallu pour lire les Mémoires d’outre-tombe, presque le temps d’une grossesse. Et pourtant, j’en ai sauté des pages, des chapitres entiers mêmes, ce qui n’est pas une pratique ordinaire chez moi. Des chapitres qui, publiés ailleurs, m’auraient peut-être intéressée d’ailleurs… mais leur accumulation a provoqué impatience et lassitude, l’envie d’en finir et de se concentrer sur ce qui touchait directement la vie du monsieur. Cela ne signifie pas que je n’ai pas apprécié cette lecture. Seulement que dans ces mémoires foisonnantes, j’ai éprouvé le besoin de faire un tri, pour me concentrer sur ce qui m’intéressait le plus.

Chateaubriand a mis 30 ans pour écrire ses mémoires. Il nous raconte sa naissance (« ah ! pourquoi suis-je venu au monde ! », avec les accents déchirants et insupportables du romantisme à la Musset), son enfance dominée par un père sévère et respectée, et la douceur de sa sœur Lucile, sa jeunesse habitée de sylphides (sublimation du travail hormonal), sa présentation au roi (fait mineur de notre point de vue, mais pas du sien), son voyages aux Amériques, où il rencontra Washington, son retour dans la France révolutionnaire, son émigration miséreuse à Londres, son retour en France, le succès du Génie du christianisme, son opposition à Napoléon après la mort du duc d’Enghien (opposition si menaçante qu’il n’a jamais été arrêté), son rôle (littéraire) dans la Restauration, son rôle dans la guerre d’Espagne (sa grande fierté), son combat pour la liberté de la presse, en opposition avec les souverains qu’il sert, ses ambassades (Londres, Rome), la chute de Charles X, ses derniers services aux rois légitimes et à la duchesse de Berry. Le tout se termine par des réflexions sur l’évolution politique et morale de la société, très intéressantes et plutôt lucides (surtout sur l’aspect politique), les inquiétudes de tout homme (intelligent) sur un avenir inconnu. Quelques belles pages aussi sur la science et la foi, qu’on peut apprécier quand bien même on ne partage pas les idées du monsieur, lesquelles brident parfois sa compréhension.

Chateaubriand livre assez peu de détails sur sa vie intime. On sait juste de madame qu’elle est dévouée et fragile. Sont évoquées Mmes de Beaumont, de Staël et Récamier, et bien sûr les sœurs de Chateaubriand. Un amour de jeunesse, également, très chaste. Mais l’homme reste globalement discret sur ce qui concerne les dames. La même discrétion s’observe sur le quotidien, les petites choses insignifiantes de la vie, les goûts. Ce que veut Chateaubriand, c’est tailler sa statue, et on ne sculpte rien de grandioses avec de tels éléments. Place donc au génie littéraire et surtout au génie politique, car c’est surtout ce dernier qu’il prétend démontrer, avec un manque d’humilité rare. S’il savait le pauvre, ce qu’on en pense aujourd’hui, de son rôle politique. S’il savait que le nom de Talleyrand, qu’il méprise, compte dans ce domaine bien plus que le sien ! A l’entendre, il est le seul opposant respecté de Napoléon (dont il fait une biographie complète, fort longue), il fait presque tout seul la Restauration, sa guerre d’Espagne est une splendide réussite, il sait merveilleusement négocier l’élection d’un pape favorable à la France… sa grandeur l’obsède, et il ne cesse de la grandir encore en montrant l’ingratitude de ceux qu’il sert, son panache, son refus de profiter de sa situation, son incapacité à s’enrichir, le prix dont il paye sa fidélité aux Bourbons.

Et du panache, il en a en effet. Ses discours sont magnifiques, et c’est un polémiste brillant. Sa fidélité est incontestable, de même que son désintérêt pour l’argent. Chateaubriand ne veut que la gloire, et la gloire nue, pas une gloire de nouveaux riches. Puisqu’il ne l’obtient pas vraiment, il fait son propre monument, dans un marbre de mots. Le personnage est à la fois agaçant - son immodestie, son ego démesuré amusent et lassent tour à tour – et attachant, pour sa lucidité vis-à-vis de la société, sa fidélité à lui-même, ses réflexions d’homme vieillissant, cette volonté, si humaine au fond, de perpétuer sa mémoire à travers les âges. « S’adresser à la postérité, c’est faire un discours aux asticots. » … mais Chateaubriand ne connaissait pas Céline !


2012-07

 
litterature/fiches/chateaubriandfranois-rende.txt · Dernière modification: 2012/07/25 09:45 (édition externe)     Haut de page