YOURCENAR, Marguerite
Anna Soror
Roman. Naples, ~ XVIe. Don Alvare et Dona Valentine ont deux enfants, Anna et Miguel, qui s'aiment d'amour tendre. Après une longue tempête en chacun d'eux, leur amour aboutit à l'inceste, l'espace de quelques jours. Bien qu'il n'ait aucun remords, Miguel sent qu'il lui faut payer ce bonheur et s'engage sur une galère où il trouve la mort. Quant à Anna, son remords éventuel est remplacé par un inconsolable deuil et une admirable constance, même si elle se marie pour échapper au couvent, et qu'elle a pour un soir un amant (cette relation charnelle, explique Yourcenar, est là pour souligner la fidélité du coeur).
Archives du Nord
Marguerite Yourcenar explore sa généalogie paternelle, en partant de la préhistoire - évidemment, elle n'évoque à ce stade que nos ancêtres à tous - pour remonter vers les temps modernes, la biographie de ses parents devenant plus fouillée à mesure que l'on se rapproche d'elle. Cette promenade dans le temps n'a rien d'un exercice narcissique : elle permet au contraire de prendre conscience de son insignifiance. C'est aussi l'occasion d'évoquer de manière érudite et vivante certaines époques, certains aspects, en s'appuyant sur quelques faits resurgis des archives, complétés par des données historiques générales. Eclairés par l'intelligence de l'auteur, les cas particuliers prennent une dimension universelle. Yourcenar n'est pas particulièrement complaisante à l'égard de ses ancêtres. On sent cependant une certaine sympathie pour son son grand-père et son rocambolesque père. Parmi les séquences marquantes : le terrifiant accident de train du Michel-Charles, le grand-père, la fugue du père, le portrait de l'horripilante grand-mère Noémi.
Le tout est écrit d'un style précis, élégant, aussi froid que splendide. Il y a chez Yourcenar une sévérité romaine, un pessimisme sans désespoir, serein même, et une attitude qui a bien des égards mérite d'être prise comme modèle.
2008-12
L'oeuvre au noir
Roman. Zénon est alchimiste et médecin, au XVIe siècle, c'est-à-dire au temps de la lutte entre réformés et catholiques, au temps de l'Inquisition, époque entre deux âges (ancien et moderne), infiniment brutale. Humaniste désespéré par la bêtise et la méchanceté des hommes, athée, Zénon vit avant tout pour une science qui permettrait aux hommes d'améliorer leur sort. Ce livre retrace une double conquête, celle de la connaissance du corps, et celle de la liberté de l'esprit. Zénon, finalement rattrapé par une époque à laquelle il n'échappait que trop impudemment, est condamné au bûcher, et se donne la mort dans sa cellule.
Les Mémoires d'Hadrien
Biographie romanesque de l'empereur Hadrien, successeur de Trajan, et prédécesseur d'Antonin et Marc-Aurèle. Yourcenar explore une sagesse empreinte d'hédonisme et de stoïcisme, et suit l'évolution mentale, d'un certain enthousiasme à une lassitude de plus en plus grande, au lent abandon du corps, et à l'approche de la mort.
Quoi l'éternité
Dernier volet de la trilogie familiale de Marguerite Yourcenar. Son père Michel et l'une de ses maîtresses, ancienne amie de sa mère, Jeanne, y tiennent la place principale. Yourcenar évoque la ruine familiale, la vie de Jeanne et de son mari homosexuel. Elle parle aussi, quoique brièvement de son propre éveil intellectuel (les bonnes lectures que lui met entre les mains son père, sans se soucier de son âge ou de son sexe ; notamment Au-dessus de la mêlée de Romain Rolland, sa première expérience de pensée à contre-courant, en pleine guerre mondiale). Elle raconte l'exode vers l'Angleterre pendant la première guerre mondiale, avant le retour vers Paris.
Ce qui importe dans son récit, ce sont moins les événements eux-mêmes que le regard ouvert et distant qu'elle porte sur eux, et plus encore le style, cette ironie souvent présente, légère et implacable, ces mots précis et parfois cruels. Ici et là, quelques réflexions détonant un attachement sincère à la nature, accompagné, comme à l'accoutumé, d'un profond pessimisme à l'égard des hommes et de ce qu'ils nomment progrès.
2011-03
Souvenirs pieux
Souvenirs pieux est le premier volume du Labyrinthe du monde, la biographie familiale de Yourcenar. Dans cette première partie, l'écrivaine explore sa branche maternelle. Elle évoque d'abord sa naissance et l'agonie de sa mère, Fernande, avant de remonter dans le temps jusqu'aux premiers ancêtres connus, puis de revenir à sa mère et à la rencontre de celle-ci avec son père. Au cours de cette promenade dans le temps, elle s'attarde longuement sur son grand oncle Octave Pirmez, écrivain et poète au talent sans génie, à la pudeur parfois irritante, aux limites évidentes, mais pourtant intelligent et attachant. A travers lui, elle évoque aussi Rémo, le frère d'Octave, idéaliste d'extrême gauche, qui se suicide faute de pouvoir faire face à la misère du monde et de pouvoir partager son idéal avec une famille bourgeoise qui le condamne (pour la plupart) ou tout au moins ne le soutient pas (Octave).
De sa mère, qui ne lui a jamais réellement manqué, elle trace un portrait aussi précis que possible, et parfaitement neutre, sans l'affection qui imprègne les pages consacrées à son père dans Archives du Nord.
On trouve dans Souvenirs pieux les mêmes qualités déjà appréciées dans Archives du Nord : l'intelligence, la sobriété, l'élégance du style, l'absence de jugement et de complaisance. On y trouve en sus la volonté d'éclairer, à travers l'exemple de quelques femmes de la famille, ce qu'a pu être la vie des femmes à cette époque, dans ce milieu.
2009-08
Un homme obscur
Nathanaël est un néerlandais du XVIIe siècle. Boiteux, il est confié à un maître d'école chez lequel il acquiert quelques lettres. Il fuit son pays suite à une altercation au cours de laquelle il craint d'avoir tué un homme. Matelot pendant quelques années, il finit par échouer sur une île au rude climat, à peine peuplée de quelques occidentaux égarés, qui y vivent péniblement. Là il épouse la fille de ses sauveurs, Foy. Cette dernière meurt assez vite de pleurésie. Alors que la maladie commence à l'atteindre, il parvient à fuir l'île et s'en retourne au pays natal, où il comprend qu'il n'a tué personne. Il travaille à l'imprimerie de son oncle Elie, jusqu'à sa rencontre à la belle juive Saraï, une voleuse qu'il épouse lorsqu'elle tombe enceinte. Saraï retournant accoucher chez sa “mère” (sa maquerelle), Nathanaël est vite dépossédé de son enfant, Lazare, sans chercher plus avant à se l'approprier. Il finit par abandonner Saraï, lorsqu'elle réalise qu'elle a repris son métier de putain voleuse, qui la mènera à la corde. Abandonnant le toit sous lequel ils ont vécu, il se retrouve sans abri, et manque de mourir à l'hôpital d'Amsterdam. Recueilli par une charitable famille bourgeoise, il vit là jusqu'à ce que sa maladie incommode ses bienfaiteurs. On l'envoie donc mourir sur une île frisonne, seul et finalement apaisé.
Yourcenar décrit ainsi son personnage : ”[en un sens il] «se laisse vivre», à la fois endurant et indolent jusqu'à la passivité, quasi inculte, mais doué d'une âme limpide et d'un esprit juste qui le détournent, comme d'instinct, du faux et de l'inutile, et mourant jeune sans se plaindre et sans beaucoup s'étonner, comme il a vécu.” D'une certaine manière, l'attitude du héros devant la vie rappelle celle de certains personnages de Murakami. Yourcenar en a fait un personnage qui, tout en ayant une culture, ne se laisse pas abuser par les livres et les arts, considérant leurs limites avec une méfiance légitime.
2011-06