SAPIENZA, Goliarda

L'art de la joie

L'art de la joie est un roman parfois assomant, dont les dialogues et le style ne sont pas exempts d'imperfections (potentiellement dues à la traduction), même s'ils recèlent aussi une grande et intéressante liberté de narration (passages intempestifs du “je” ou “elle”, sauts dans le temps). Surtout, c'est un roman qu'il serait vain d'essayer de résumer, si ce n'est de manière très allusive.
Il conte l'histoire de Modesta, de sa prime jeunesse à sa vieillesse, en terre sicilienne. Soit l'histoire d'une femme qui n'a jamais cessé de se libérer, grâce au meurtre (pour libérer sa route lorsqu'on la menace d'étouffement), grâce à l'amour (hétéro ou lesbien), à sa beauté, à la culture, à l'argent (dont elle sait user sans en devenir esclave), à sa formidable intelligence et à sa non moins formidable force de caractère.
Anarcho-marxiste et surtout féministe elle ne se laisse jamais enrôler, ni avant, ni après le fascisme (considérant que la démocratie et le socialisme réformiste, avec son conformisme sont un fascisme au visage plus doux). Des années d'emprisonnement pendant la guerre ne la font pas reculer d'un pouce.
Elle est l'incarnation de la vie - dans toute sa sensualité -, de la liberté, vis-à-vis de la société comme de son entourage. Elle vit par delà le bien et le mal (son épanouissement peut passer par des meurtres, sa sexualité ne se préoccupe de morale, la culpabilité n'est pas dans ses gènes), concernée par le monde extérieur et hors du monde. Une preuve que la liberté est avant tout en soi.
Le livre est à bien des égards scandaleux (sexualité infantile, meurtres non punis, homosexualité heureuse, amours libres, avortement, radicalité politique, critique du communisme, de la psychanalyse, vieillesse non aigrie, athéisme pur, féminisme non revanchard et non théorique, à cent mille lieues de l'image de la mal-baisée) et l'intérêt des idées véhiculées conduit à pardonner le foisonnement qui nuit parfois à la profondeur des personnages, ainsi que toutes les lourdeurs susmentionnées. Modesta est sans constestation possible une héroïne post-chrétienne, voire nietzschénne. Elle est par là-même fascinante et sympathique.

2008-11

 
litterature/fiches/sapienzagoliarda.txt · Dernière modification: 2008/11/06 16:36 (édition externe)     Haut de page