LAWRENCE, David Herbert
L'amant de Lady Chatterley
Constance, comme sa soeur Hilda, est issue d'un milieu bourgeois intellectuel progressiste, non puritain. Les deux soeurs se déniaisent pendant leurs études en Allemagne. Cependant, si elles offrent volontiers leur corps à leurs jeunes amants, elles considèrent cette étape comme une sorte de passage obligé vers une plus grande intimité intellectuelle, plutôt que comme un réel plaisir. Hilda, farouchement indépendante, ne quittera pas cette ligne, considérant le sexe comme une soumission mal venue au plaisir masculin.
A leur retour en Angleterre, les deux soeurs se marient. Constance épouse Sir Clifford, un aristocrate ancré dans sa terre des Midlands, devenu un bassin minier d'une incontestable laideur. La guerre de 14-18 ravit à Clifford ses jambes et sa puissance sexuelle. Il compense cette perte par l'écriture de nouvelles qui connaissent un certain succès. Constance l'aide de son mieux dans cette tâche. Elle est cependant bien vite écrasée d'ennui, frappée par l'insignifiance de l'oeuvre de son mari et de toute forme d'offrande à la déesse-chienne du succès. Son père, qui la voit dépérir, lui conseille de prendre un amant. Le premier, Michaelis, s'il lui donne quelque plaisir, ne lui réchauffe pas réellement les entrailles. Quelque temps plus tard, elle noue une relation, d'abord pleine de défiance, puis passionnelle, avec le garde-chasse de son mari, un ancien officier, Mellors, qui vit séparé de sa femme. Progressivement, celui-ci fait naître en elle une nouvelle femme. Entre eux flambe une étincelle de vie, fragile, sensuelle et ardente, immédiatement menacée par leur environnement : convenances, mariages, poids d'un monde dévirilisé, désincarné, intéressé seulement par l'argent. Après un voyage à Venise pour Constance et quelques tergiversations, chacun est bien décidé à obtenir de son côté le divorce pour pouvoir vivre avec l'autre, pour accueillir l'enfant que porte Constance et faire vivre la petite étincelle qui les relie l'un à l'autre.
Roman à thèse, au style parfois pesant (problème de traduction ?), l'oeuvre constitue une charge contre les sociétés anglo-saxonnes (et occidentales en général), contre l'industrialisation, sa hideur et la perte de sens qu'elle implique, contre l'étouffement de l'instinct sexuel. Pour Lawrence, un homme est homme non pas en quêtant une originalité individuelle, mais en assumant avec le plus d'intensité possible ce qu'il a de commun avec tous, le sexe. Le principal intérêt du livre par rapport à d'autres traitant du même thème (la femme adultère révélée à elle-même), c'est que la place donnée à l'Amour (l'“Hamour” comme dit Montherlant) et à la religion est bien maigre, voire inexistante. C'est le sexe, la complicité sexuelle qui créent l'étincelle et Lawrence n'emballe pas cela de lyrisme sentimental. D'autre part, il n'est point question de pècheresse, de devoir, de remords, de sainte pudeur et de sainte résistance, de cas de conscience déchirant ni de fatale malédiction venant punir les amants. Si obstacles il y a, ils viennent de la hiérarchie sociale, d'une société anglaise présentée comme émasculée, des doutes de chacun quant à la façon de mener sa vie, et de la modernité (industrialisation, argent, mais aussi une certaine forme de féminisme incarnée par Hilda).
2007-08