FERNANDEZ, Dominique
Porporino ou les mystères de Naples
Roman. Un livre assez complexe qui a Naples pour théâtre. La trame de l'histoire est simple et même un peu lâche : un jeune paysan cueilli dans son village natal et pouilleux de San Donato est vendu par ses parents à un prince un peu loufoque (Don Raimondo), castré, formé par des religieux pour devenir castrat au San Carlo de Naples. Trop infériorisé par son père étant petit (“tu n'es bon à rien”), il lui est en quelque sorte fidèle en abandonnant toute ambition, personnelle ou artistique, se contentant de jouer les seconds rôles et renonçant à toute vie sentimentale. Son ami Feliciano, né pour être une étoile, est à tout point de vue différent, brillant en tout et ne renonçant à rien. Porporino accompagne la sombre passion que Don Manuele éprouve pour Feliciano, jusqu'à son baroque et sanglant dénouement, dans un accès de folie conjoint de Don Manuele et de Don Raimondo. Ce qui nourrit le livre, c'est une réflexion continue sur la l'indétermination des sexes, considérée comme une sorte de pureté originelle corrompue à la fois par la biologie - en grandissant, l'enfant mal déterminé devient homme ou femme, doit choisir son camp - et par la culture, Espagne catholique et Lumières renvoyées dos à dos et accusées de défendre un culte de l'hétérosexualité monogamique sans imagination. Naples est célébrée comme le dernier bastion de la liberté sexuelle - tolérance plus grande pour l'homosexualité, carnaval où hommes et femmes inversent les rôles - contre la modernité industrieuse des Lumières. Don Raimondo, défenseur des castrats et de cet esprit napolitain, prévoit un futur où le triomphe des Lumières conduira au progrès économique, à l'accroissement des richesses, mais aussi à une spécialisation des tâches et à un assujetissement au travail qui rendra les hommes nostalgiques de leur enfance, regardée comme un paradis perdu, qui les conduira à retarder le plus possible l'entrée dans le monde des adultes et à rechercher la confusion de sexes (mêmes vêtements…) “Au lieu de castrats-héros chargés par la collectivité d'incarner le rêve d'une humanité indivise, circulairement unie dans la liberté d'être tout à la fois, une sorte de castration diffuse se répandra sur la terre (…) et propageant un malaise dont je ne puis sans frémir imaginer les conséquences.”
2006