DESPENTES, Virginie
King-Kong théorie
Virginie Despentes écrit de chez les moches pour les moches. Elle théorise le féminisme à partir d'une expérience concrète, la sienne : une baroudeuse punk-rock, violée, qui se prostitue pour arrondir ses fins de mois, avant de devenir écrivain puis cinéaste, proche des milieux du porno et surtout de leurs actrices (Baise-moi est co-réalisé avec Coralie Trinh-Ti). Dans chacune de ces situations, bon gré mal gré, elle est obligée de se penser en tant que femme, elle qui se sent plus virile que féminine. Si elle ne crache pas sur les évolutions très positives de la condition féminine - notamment en matière de contraception, de liberté de mouvement - elle mesure aussi le chemin qui reste à parcourir et les contradictions nombreuses que la société imposent aux femmes. Elle dénonce l'hypocrisie et la lâcheté des hommes, mais aussi celle des femmes, qui font tout pour ignorer leurs fantasmes, plutôt que de les affronter ; elle s'insurge contre la volonté de contrôle de l'Etat qui s'exprime au travers de la figure maternelle toute puissance ; elle rue contre ceux qui la juge comme femme et non comme écrivain, contre ceux qui veulent la faire taire, contre tous ceux qui veulent que les femmes rentrent dans le rang, répondent à une image stéréotypée de la féminité, ceux qui veulent qu'elles soient terrorisées et traumatisées par le viol, irrémédiablement flétries par la prostitution comme par le porno. Elle raconte comment elle a tenté d'être de celles qu'on épouse et auxquelles on fait des enfants ; comment elle a échoué, incapable de se couper d'une agressivité constitutive d'elle-même, refusant de se mutiler en renonçant à sa part de virilité. Elle explique comment tout le monde, hommes et femmes, se fait manipuler et comment les femmes, en définitive, en prennent toujours plein la gueule. Ce que Despentes prône, au final, ce n'est pas la guerre des sexes, mais une prise de conscience de chacun et une vraie révolution sexuelle et sociale, pour que hommes et femmes se délivrent du contrôle social qui s'exercent sur eux et de cette malédiction qui les oblige à vivre amputés d'une partie d'eux-mêmes (les femmes de leur virilité et les hommes de leur féminité). L'écriture est directe, rugueuse, familière et efficace. Malgré la gravité du propos, l'humour n'est pas absent.
Sur un ou deux points, je trouve la généralisation trop poussée. D'une part, il semblerait que pour V. Despentes, il n'y est pas d'intermédiaire entre la femme qui en bave en bas de l'échelle et la bourgeoise entretenue par son mari ou la pension alimentaire de son ex. Ou pour le dire autrement, on a l'impression qu'elle englobe tous les bourgeoises (c'est-à-dire des blanches qui ont un minimum de tune) dans la catégorie des entretenues. Il manque, entre les deux extrêmes, la figure de la bourgeoise qui gagne sa vie à égalité avec son mari/compagnon, pas forcément aussi soumise et dépendante que sa consoeur femme au foyer, pas forcément collabo. Bref, le portrait de la bourgeoise, utilisé comme repoussoir, mériterait d'être nuancé. De même la vision des hommes est un poil monochrome… Pourtant, dans son ensemble, le propos est juste, son expression provocante est des plus réjouissantes et les quelques simplifications susmentionnées sont bien pardonnables. Ce genre de livre pourrait parfaitement être ajouté, selon moi, dans le kit littéraire que toute jeune fille devrait recevoir pour ses 18 ans (ou plus tôt selon maturité).
2008-04