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L’histoire

Elle est issue d’un roman de Chrétien de Troyes, Cligès, qui conte deux histoires d’amour. La première est celle d’Alexandre (père de Cligès) et de Dorée d’amour, qui, réciproquement amoureux, sont unis l’un à l’autre par la reine de Bretagne. La seconde est celle de Cligès et Phénice. Phénice est promise à son oncle Alis lorsque Cligès s’enflamme pour elle d’un amour partagé. Par des sortilèges, ils parviennent à empêcher Alis de posséder sa femme. Une autre potion donne à Phénice l’aspect d’une morte. Bien qu’on la torture pour vérifier qu’il ne s’agit pas là d’un subterfuge, elle tient bon et peut se cacher avec Cligès jusqu’à la mort d’Alis. Les deux amants se marient alors. Ainsi, contrairement à Iseut, Phénice refuse de se partager de façon avilissante. Tant qu’Alis est susceptible d’être son mari, elle se refuse à Cligès. Si elle lui accorde des faveurs avant leur mariage, c’est qu’Alis n’a jamais possédé son corps : il n’y a donc pas adultère.

Commentaires

On peut remarquer que le roman est dominé par les femmes : c’est la reine de Bretagne qui unit Alexandre et Dorée d’Amour. C’est Thessala, la nourrice de Phénice, qui fournit les philtres et qui la soustrait à la torture avant que celle-ci ne devienne insupportable. Les deux femmes sont les premières à avouer leur amour. Si Chrétien de Troyes éprouve le besoin de confier des rôles valorisants aux femmes pour répondre aux attentes de son public, c’est que les esprits ont évolué sur le sujet. Le roman incite les chevaliers à ne plus considérer la femme comme un objet, à conquérir son cœur au lieu de s’emparer de son corps.

On peut fournir plusieurs explications à ce phénomène : d’une part, les chevaliers se civilisent en fréquentant la cour des Princes, où l’on tente d’instaurer entre hommes et femmes des rapports qui ne soient plus ceux d’un chasseur avec sa proie. D’autre part, l’expansion économique facilite la circulation de l’argent et rend les partages en cas d’héritage plus faciles. Les règles du mariage peuvent donc être assouplies, ce qui impliquent qu’il y ait moins de chevaliers célibataires recherchant des relations extra-conjugales : l’amour peut servir de préparation à un mariage heureux. Enfin, l’amour facilite le respect des lois matrimoniales édictées par le pape Alexandre III : le mariage doit servir à la procréation (Dorée d’Amour est enceinte au bout de trois mois) et s’accompagner d’une fidélité, qui, idéalement ne prend pas fin avec l’amour de l’époux.