Lawrence, David Herbert

L'amant de Lady Chatterley

— Alors, pourquoi êtes-vous si amer ?
— Je ne suis pas amer ! Si mon coq chante pour la dernière fois, je m'en moque !
— Mais si vous avez un enfant ? Il courba la tête.
— Mais, dit-il enfin, je trouve que c'est une mauvaise action que de mettre un enfant au monde, dans un monde comme le nôtre.
— Non, ne dites pas cela, ne dites pas cela ! supplia-t-elle. Je crois que je vais en avoir un. Dites que vous en seriez heureux.
Elle posa la main sur sa main.
— Je suis heureux que vous soyez heureuse, dit-il. Mais, pour moi, cela me semble un acte de sinistre traîtrise envers cette créature à naître.
— Ah ! non, dit-elle, choquée. Alors, vous ne pouvez pas vraiment me vouloir. Vous ne pouvez pas me vouloir si vous sentez cela.
Il se tut encore, le visage sombre. Au-dehors, il n'y avait que le battement de la pluie.
— Ce n'est pas tout à fait vrai, murmura-t-il, ce n'est pas tout à fait vrai. Il y a une autre vérité.
Elle sentait que, s'il était amer en ce moment, c'était en partie parce qu'elle partait pour Venise. Et elle en était heureuse.
Elle ouvrit d'un coup ses vêtements, lui découvrit le ventre et lui baisa le nombril. Puis elle lui posa la joue sur le ventre et lui entoura les reins de ses bras, ces reins chauds et silencieux. Ils étaient seuls dans le Déluge.
— Dis-moi que tu veux un enfant — en espérance ! murmura-t-elle en lui pressant le ventre de son visage. Dis-le-moi !
— Eh bien, dit-il enfin, et elle sentit l'étrange changement, l'étrange détente qui traversaient en frémissant le corps de son amant. J'ai pensé quelquefois que si on essayait seulement, même ici, parmi les mineurs! Ils n'ont pas beaucoup de travail maintenant, et ils gagnent peu. Si quelqu'un pouvait leur dire : « Pensez désormais à autre chose qu'à l'argent. S'il ne s'agit que de besoin, nous n'avons pas besoin de beaucoup. Ne vivons pas pour l'argent… »
Elle lui frotta doucement le ventre avec sa joue, et lui prit les couilles dans la main. Le pénis frémit doucement, mais ne se dressa pas. La pluie battait cruellement au-dehors.
— « Vivons pour autre chose. Que notre seul but ne soit pas de gagner de l'argent, ni pour nous-mêmes, ni pour qui que ce soit. Maintenant, nous y sommes forcés. Nous sommes forcés de gagner un peu d'argent pour nous et beaucoup pour les patrons. Renonçons-y ; peu à peu, renonçons-y. Nul besoin de rage et de folie. Peu à peu, abandonnons toute la vie industrielle, et retournons en arrière. Contentez-vous de très peu d'argent; au fond, il vous en faut très peu. Prenez-en la ferme résolution, et vous sortirez de ce pétrin. »
[…]
— Parce que, moi, quand je sens que l'espèce humaine s'est condamnée elle-même par sa propre bassesse, alors je trouve que les colonies ne sont pas encore assez loin. La lune même ne serait pas assez loin. Parce que, là encore, on pourrait regarder en arrière et voir la terre sale, basse, insipide parmi les étoiles : rendue ignoble par les hommes. Alors je sens que j'ai avalé de la bile et qu'elle me dévore les entrailles, et qu'aucun endroit n'est assez loin pour qu'on s'y réfugie. Mais quand je trouve un emploi, j'oublie tout cela. Et pourtant, c'est une honte ce qu'on a fait aux gens ces cent dernières années : les hommes transformés en insectes de travail, privés de toute virilité, de toute leur vraie vie. Je balaierais les machines à la surface de la terre et terminerais l'ère industrielle absolument comme si elle n'avait été qu'une noire erreur. Mais puisque je ne le puis pas et que personne ne le peut, je n'ai qu'à rester tranquille et tâcher de vivre ma propre vie —, si j'ai une vie à vivre, ce dont je doute un peu.

2007-08
Parents-enfants Société Monde/Humanité

 
litterature/citations/lawrencedavidherbert.txt · Dernière modification: 2007/12/22 18:52 (édition externe)     Haut de page