Gide, André
Ainsi soit-il
Je me hâte d'ajouter qu'il est quantité de maux que je prétends imaginaires, en face desquels je me déclare impitoyable : peu de choses m'intéressent moins que les prétendues peines de coeur et les affaires sentimentales. La moquerie suffit souvent à les cautériser : on s'aperçoit vite qu'il y entre une grande part de mensonge et de faux-semblant. On est moins réellement épris qu'on ne s'imagine de l'être ; et tant pis. Tandis que celui qui meurt de faim, qui voit, autour de lui, ses enfants mourir de faim : voilà des souffrances réelles. Et je me garde, il va sans dire, de hausser les épaules devant ces dilemmes, si fréquents de nos jours, où l'homme est entraîné vers les pires souffrances pour sauvegarder sa dignité. Ce sont ceux-là surtout vers qui afflue ma sympathie.
2009-11
Autres_(les)
Ainsi soit-il
Je ne colle pas, je n'ai jamais pu parfaitement coller avec la réalité.[…] Je crois même que, à l'article de la mort, je me dirai : tiens ! il meurt. Alors la misère d'alentour peut venir, de plus en plus près, assiéger ma porte : je suis aussi ému par elle que l'on peut être […] et je m'en occupe et m'en préoccupe ; mais cela ne prend pas son rang dans les choses réelles.
2009-11
Expérience Soi
Ainsi soit-il
J'ai pris garde de ne laisser point s'endormir mes désirs, écoutant en ceci les conseils de Montaigne qui se montre particulièrement sage en cette matière : il savait, et je sais aussi, que la sagesse n'est pas dans le renoncement, dans l'abstinence, et prend soin de ne pas laisser tarir trop vite cette source secrète.
2009-11
Expérience Vie/Bonheur
Ainsi soit-il
Si je m'avance, c'est en timoré ; et le plus souvent je préfère ne pas m'avancer du tout. Cela vient aussi de la longue habitude prise de n'être pas du tout écouté. Mieux vaut alors garder le silence. […] A présent que je sais et sens que d'avance, l'on prête attention à ce que je vais dire, j'ai beaucoup moins envie de parler. Pourtant, il me prend l'envie de placer une anecdote. C'est d'ordinaire lorsque la conversation languit ; je supporte mal les silences. A présent, j'ose me lancer. Mais il ne me faut pas remonter loin en arrière : je n'avais qu'un souci : atteindre bien vite la fin de l'histoire par crainte qu'on ne me la laisse achever. Tant de fois j'avais été interrompu. Alors je galope. Mais v'lan ! Le récit est coupé juste “au moment le plus chouette”, comme chantait Yvette Guilbert. Et tant de fois j'avais connu cette mortification : personne pour demander la suite, pour prononcer un rassurant et réconfortant : “Et alors ?…” On se met à parler d'autre chose et j'en suis pour mes frais et pour me dire une fois de plus : mieux vaudrait n'avoir pas commencé plutôt que de ne pouvoir finir.
2009-11
Autres_(les) Soi Expérience
Amyntas
L’inconsciente gestation des grandes œuvres plonge l’artiste dans une sorte d’engourdissement stupide ; et n’y consentir point, prendre peur, vouloir redevenir trop tôt capable, avoir honte de ses hivers, voilà de quoi, – pour en vouloir de plus nombreuses, – étrangler et faire avorter chaque fleur.
2007-07
Littérature/Création_littéraire
Amyntas
C’est le soir ; on marchait dans l’ombre ; la plénitude du jour finissant reparaît. – Beau pays désiré, pour quelle extase et quel repos vas-tu répandre ah ! ton étendue, sous la chaude lumière dorée.
On s’arrête ; on attend ; on regarde.
Un monde différent apparaît ; étrange, immobile, impassible, décoloré. – Joyeux ? non ; triste ? non : tranquille.
On s’approche ; comme en une trouble eau tiède, sous l’ombre des palmiers, craintif et pas à pas l’on avance… Un bruit de flûte ; un geste blanc ; une eau doucement chuchotante ; un rire d’enfant près de l’eau – puis, rien ; plus une inquiétude et plus une pensée. Ce n’est même pas du repos : ici jamais rien ne s’agite. Il fait doux. – Qu’ai-je voulu jusqu’à ce jour ? De quoi m’étais-je inquiété ?
2007-07
Voyage Vie/Bonheur Expérience
Correspondance
” [Je suis] parvenu à cet heureux état où l'on n'a plus de foi personnelle […], qu'on pourrait appeler l'état de dialogue ; il vient d'une pénétration, d'une compréhension toujours plus grande et surtout plus profonde des croyances et des morales d'autrui ; de la possibilité de s'émouvoir tour à tour autant pour l'une que pour l'autre, et cela sincèrement, passionnément ; - enfin, du désintéressement complet de son opinion personnelle. ”
Lettre à Marcel Drouin, 10 mai 1894
2007-03
Expérience Soi Vérité/Sincérité
Et nunc manet in te
Ce qui ne me paraît pas honnête, par contre, c'est de tenir mon deuil pour responsable de mon état languide ; c'est mon deuil qui m'y a mené ; ce n'est pas lui surtout qui m'y maintient. Et je ne suis sans doute pas de très bonne foi lorsque je m'en persuade. J'y trouve une trop facile excuse à ma lâcheté, une couverture à ma paresse. Ce deuil, je l'attendais, le prévoyais de longue date et pourtant je n'imaginais que souriante, en dépit du chagrin, ma vieillesse. Si je ne parviens pas à rejoindre la sérénité, ma philosophie fait faillite. Il est vrai, j'ai perdu ce “témoin de ma vie” qui m'engageait à ne point vivre “négligemment”, comme disait Pline à Montaigne, et je ne partage pas la croyance de Madeleine en une survie qui m'amènerait à sentir son regard, au-delà de la mort, me suivre ; mais, de même que je ne laissais pas son amour, durant sa vie, incliner dans son sens ma pensée, je ne dois pas, à présent qu'elle n'est plus, laisser peser sur ma pensée, plus que son amour même, le souvenir de cet amour. Le dernier acte de la comédie n'est pas moins beau si je dois le jouer solitaire. Il ne faut pas s'y dérober.
2009-11
Amour Soi Vie/Bonheur
L'immoraliste
« Envier le bonheur d'autrui, c'est folie ; on ne saurait pas s'en servir. Le bonheur ne vaut pas tout fait, mais sur mesure. »
Lycée
Soi
L'immoraliste
« On ne peut être à la fois sincère et le paraître. »
Lycée
Vérité/Sincérité
L'immoraliste
« Mais la plupart d'entre eux pensent n'obtenir d'eux-mêmes rien de bon que par la contrainte ; ils ne se plaisent que contrefaits. C'est à soi-même que chacun prétend le moins ressembler. Chacun se propose un patron, puis l'imite ; même il ne choisit jamais le patron qu'il imite. Il accepte un patron tout choisi. Il y a pourtant, je crois, d'autres choses à lire, dans l'homme. On n'ose pas. On n'ose pas tourner la page. Lois de l'imitation, je les appelle lois de la peur. On a peur de se trouver seul, et l'on ne se trouve pas du tout. Cette agoraphobie morale m'est odieuse ; c'est la pire des lâchetés. Pourtant, c'est toujours seul qu'on invente. Mais qui cherche ici d'inventer ? Ce que l'on a en soi de différent, c'est précisément ce que l'on possède de rare, ce qui a fait à chacun sa valeur - et c'est là ce que l'on tâche de supprimer. On imite. Et l'on prétend aimer la vie. »
Lycée
Soi Société
La Porte étroite
« - Il me semble que j'allais encore être séparé de toi, que j'allais rester séparée de toi longtemps, longtemps - et très bas, elle ajouta ; tout ma vie - et que toute ma vie, il faudrait faire un grand effort.
- Pourquoi ?
- Chacun, un grand effort pour nous rejoindre (…)
- Tu crois que la mort peut séparer ? reprit-elle.
- Tu veux dire?
- Je pense qu'elle peut rapprocher au contraire, oui, rapprocher ce qui a été séparé pendant toute la vie. »
Lycée
Mort Amour
La symphonie pastorale
« [à propos du Christ et de Paul] ici [Paul] j'écoute un homme, tandis que là j'entends Dieu. Je cherche à travers l'Evangile, je cherche en vain commandement, menace, défense. Tout cela n'est que de Saint Paul. »
Lycée
Dieu/Religion
Les faux-monnayeurs
« La vieille, à coup sûr, n'inventait rien ; je comprenais, à travers son récit, que l'interprétation de menus gestes innocents seule leur conférait une signification offensante, et quelle ombre monstrueuse la réalité projetait sur la paroi de cet étroit cerveau. Mais le vieux de son côté ne mésinterprétait-il pas tous les soins, toutes les attentions de la vieille, qui se croyait martyre, et dont il se faisait un bourreau ? Je renonce à les juger, à les comprendre ; ou plutôt, comme il advient toujours, mieux je les comprends et plus mon jugement sur eux se tempère. Il reste que voici deux êtres, attachés l'un à l'autre pour la vie, et qui se font abominablement souffrir. J'ai souvent, remarqué chez des conjoints, quelle intolérable irritation entretient chez l'un la plus petite protubérance du caractère de l'autre, parce que la ” vie commune ” fait frotter celle-ci toujours au même endroit. Et si le frottement est réciproque, la vie conjugale n'est plus qu'un enfer.
Amour Expérience
Les faux-monnayeurs
Parbleu ! les bourgeois honnêtes ne comprennent pas qu'on puisse être honnête autrement qu'eux.
2007-11
Société Préjugés/dogmatisme
Les faux-monnayeurs
« L'avenir appartient aux bâtards. — Quelle signification dans ce mot : ” Un enfant naturel ! ” Seul le bâtard a droit au naturel. (chap. XII)
Quand j'observe que, de tant de bourgeons, deux tout au plus se développent, condamnant à l'atrophie, par leur croissance même, tous les autres, je ne me retiens pas de penser qu'il en va de même pour l'homme. Les bourgeons qui se développent naturellement sont toujours les bourgeons terminaux — c'est-à-dire : ceux qui sont les plus éloignés du tronc familial. (chap. XVII)
2007-12
Parents-enfants Société Education
Les faux-monnayeurs
Mais, à présent, voici ce que je voudrais savoir : pour se diriger dans la vie, est-il nécessaire de fixer les yeux sur un but ?
— Expliquez-vous.
— J'ai débattu cela toute la nuit. A quoi faire servir cette force que je sens en moi ? Comment tirer le meilleur parti de moi-même ? Est-ce en me dirigeant vers un but ? Mais ce but, comment le choisir ? Comment le connaître, aussi longtemps qu'il n'est pas atteint ?
— Vivre sans but, c'est laisser disposer de soi l'aventure.
— Je crains que vous ne me compreniez pas bien. Quand Colomb découvrit l'Amérique, savait-il vers quoi il voguait ? Son but était d'aller devant, tout droit. Son but, c'était lui, et qui le projetait devant lui-même…
— J'ai souvent pensé, interrompit Edouard, qu'en art, et en littérature en particulier, ceux-là seuls comptent qui se lancent vers l'inconnu. On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d'abord et longtemps, tout rivage. Mais nos écrivains craignent le large ; ce ne sont que des côtoyeurs.
— Hier, en sortant de mon examen, continua Bernard sans l'entendre, je suis entré, je ne sais quel démon me poussant, dans une salle où se tenait une réunion publique. Il y était question d'honneur national, de dévouement à la patrie, d'un tas de choses qui me faisaient battre le cœur. Il s'en est fallu de bien peu que je ne signe certain papier, où je m'engageais, sur l'honneur, à consacrer mon activité au service d'une cause qui certainement m'apparaissait belle et noble.
— Je suis heureux que vous n'ayez pas signé. Mais, ce qui vous a retenu ?
— Sans doute quelque secret instinct… Bernard réfléchit quelques instants, puis ajouta en riant : — Je crois que c'est surtout la tête des adhérents ; à commencer par celle de mon frère aîné, que j'ai reconnu dans l'assemblée. Il m'a paru que tous ces jeunes gens étaient animés par les meilleurs sentiments du monde et qu'ils faisaient fort bien d'abdiquer leur initiative car elle ne les eût pas menés loin, leur jugeotte car elle était insuffisante, et leur indépendance d'esprit car elle eût été vite aux abois. Je me suis dit également qu'il était bon pour le pays qu'on pût compter parmi les citoyens un grand nombre de ces bonnes volontés ancillaires ; mais que ma volonté à moi ne serait jamais de celles-là. C'est alors que je me suis demandé comment établir une règle, puisque je n'acceptais pas de vivre sans règle, et que cette règle je ne l'acceptais pas d'autrui.
— La réponse me paraît simple : c'est de trouver cette règle en soi-même ; d'avoir pour but le développement de soi.
— Oui… c'est bien là ce que je me suis dit. Mais je n'en ai pas été plus avancé pour cela. Si encore j'étais certain de préférer en moi le meilleur, je lui donnerais le pas sur le reste. Mais je ne parviens pas même à connaître ce que j'ai de meilleur en moi… J'ai débattu toute la nuit, vous dis-je. Vers le matin, j'étais si fatigué que je songeais à devancer l'appel de ma classe ; à m'engager.
— Échapper à la question n'est pas la résoudre.
— C'est ce que je me suis dit, et que cette question, pour être ajournée, ne se poserait à moi que plus gravement après mon service. Alors je suis venu vous trouver pour écouter votre conseil.
— Je n'ai pas à vous en donner. Vous ne pouvez trouver ce conseil qu'en vous-même, ni apprendre comment vous devez vivre, qu'en vivant.
— Et si je vis mal, en attendant d'avoir décidé comment vivre ?
— Ceci même vous instruira. Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.
— Plaisantez-vous ?… Non ; je crois que je vous comprends, et j'accepte cette formule. Mais tout en me développant, comme vous dites, il va me falloir gagner ma vie. Que penseriez-vous d'une reluisante annonce dans les journaux : ” Jeune homme de grand avenir, employable à n'importe quoi. “
Edouard se mit à rire.
2008-01
Vie/Bonheur Soi
Les nourritures terrestres
Où tu ne peux pas dire : tant mieux, dis : tant pis. Il y a là de grandes promesses de bonheur.
2007-01
Expérience
Les nourritures terrestres
Combien durerez-vous, attentes ? et finies, nous restera-t-il de quoi vivre ? — Attentes ! attentes de quoi ? criais-je. Que pouvait-il advenir qui ne naîtrait pas de nous-mêmes ? Et que se pouvait-il de nous que nous ne connussions déjà ?
2007-01
Expérience Soi
Les nourritures terrestres
La mélancolie n'est que de la ferveur retombée.
2007-01
Expérience Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
Nathanaël, que chaque attente, en toi, ne soit même pas un désir, mais simplement une disposition à l'accueil. Attends tout ce qui vient à toi ; mais ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as. Comprends qu'à chaque instant du jour tu peux posséder Dieu dans sa totalité. Que ton désir soit de l'amour, et que ta possession soit amoureuse. Car qu'est-ce qu'un désir qui n'est pas efficace ?
2007-01
Expérience Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
Il y a d'étranges possibilités dans chaque homme. Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n'y projetait déjà une histoire. Mais, hélas ! un unique passé propose un unique avenir - le projette devant nous, comme un pont infini sur l'espace.
2007-01
Liberté Soi
Les nourritures terrestres
L'incertitude de nos voies nous tourmenta toute la vie. Que te dirais-je? Tout choix est effrayant, quand on y songe : effrayante une liberté que ne guide plus un devoir. C'est une route à élire dans un pays de toutes parts inconnu, où chacun fait sa découverte et, remarque-le bien, ne la fait que pour soi.
2007-01
Expérience Liberté Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
Il y a profit aux désirs, et profit au rassasiement des désirs - parce qu'ils en sont augmentés. Car, je te le dis en vérité, Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet même de mon désir.
Lycée
Expérience
Les nourritures terrestres
Ne désire jamais, Nathanaël, regoûter les eaux du passé.
Nathanaël, ne cherche pas, dans l'avenir, à retrouver jamais le passé. Saisis de chaque instant la nouveauté irressemblable et ne prépare pas tes joies, ou sache qu'en son lieu préparé te surprendra une joie autre.
Que n'as-tu donc compris que tout bonheur est de rencontre et se présente à toi dans chaque instant comme un mendiant sur ta route. Malheur à toi si tu dis que ton bonheur est mort parce que tu n'avais pas rêvé pareil à cela ton bonheur — et que tu ne l'admets que conforme à tes principes et à tes vœux.
Le rêve de demain est une joie, mais la joie de demain en est une autre, et rien heureusement ne ressemble au rêve qu'on s'en était fait ; car c'est différemment que vaut chaque chose.
Lycée
Expérience
Les nourritures terrestres
« De là me vient d'ailleurs un peu cette aversion pour n'importe quelle possession sur la terre. La peur de n'aussitôt plus posséder que cela. »
Lycée
Liberté
Les nourritures terrestres
« Nathanaël, tu regarderas tout en passant et tu ne t'arrêteras nulle part. Dis-toi bien que Dieu seul n'est pas provisoire. »
Lycée
Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
« Chaque instant de notre Vie est essentiellement irremplaçable : sache parfois t'y concentrer tout entier. »
Lycée
Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
« Ne désire jamais, Nathanaël, regoûter les eaux du passé. »
Lycée
Temps Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
« Nathanaël, à présent, jette mon livre. Emancipe-t-en (…) Quand ai-je dit que je te voulais pareil à moi ? C'est parce que tu diffères de moi que je t'aime : je n'aime en toi que ce qui diffère de moi. Eduquer ? Qui donc éduquerais-je, que moi-même ? Nathanaël, te le dirais-je ? Je me suis interminablement éduqué. Je continue. Je ne m'estime jamais que dans ce que je pourrais faire.
Nathanaël, jette mon livre, ne t'y satisfait point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre ; plus que tout, aie honte de cela. Si je cherchais tes aliments, tu n'aurais plus assez faim pour les manger, si je préparais ton lit, tu n'aurais pas assez sommeil pour y dormir.
Jette mon livre ; dis-toi bien que ce n'est là qu'une des mille postures possibles en face de la vie. Cherche la tienne. Ce qu'un autre aurait dit aussi bien que toi, ne le dis pas, aussi bien écrit que toi, ne l'écris pas.
Ne t'attache en toi qu'à ce que tu sens qui n'est nulle part ailleurs qu'en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres. »
Lycée
Liberté Soi Vie/Bonheur
Les nourritures terrestres
« Nathanaël, ne demeure jamais auprès de qui te ressemble ; ne demeure jamais, Nathanaël. Rien n'est plus dangereux pour toi que ta famille, ta chambre, ton passé. »
Lycée
Soi Vie/Bonheur Liberté
Les nouvelles nourritures terrestres
Je reconnais que je me suis longtemps servi du mot Dieu comme d'une sorte de dépotoir où verser mes concepts les plus imprécis. Cela finit par former quelque chose de fort peu semblable au bon Dieu à barbe blanche de Francis Jammes, mais de guère plus existant. Et, comme il advient que les vieillards perdent successivement cheveux et dents, vue, mémoire et enfin la vie, mon Dieu perdit en vieillissant (ce n'est pas lui qui vieillissait, c'est moi) tous les attributs dont je l'avais revêtu naguère; à commencer (ou à finir) par l'existence, ou, si l'on veut, par la réalité. Cessé-je de le penser, il cessait d'être. Seule mon adoration le créait. Elle pouvait se passer de lui ; Lui ne pouvait se passer d'elle. Ce devenait un jeu de glaces, où je cessai de m'amuser quand j'eus compris que j'en faisais seul tous les frais. Et quelque temps encore ce reliquat divin tenta de se réfugier, sans plus d'attributs personnels, dans l'esthétique, l'harmonie du nombre, le conatus vivendi de la nature… A présent je ne vois même plus trop l'intérêt d'en parler.
2007-03
Dieu/Religion
Les nouvelles nourritures terrestres
« Je sens bien à travers ma diversité une constance, ce que je sens divers est toujours moi. Je me suis, tout le long de ma vie, refusé de chercher à me connaître. Il m'a paru que cette recherche, ou plus exactement sa réussite, entraînerait quelque limitation et appauvrissement de l'être, que cette connaissance que l'on prenait de soi limitait l'être dans son développement ; car tel qu'on s'était trouvé, on restait, soucieux de ressembler ensuite à soi-même, et que mieux valait protéger sans cesse l'expectative, un perpétuel insaisissable devenir. L'inconséquence me déplaît moins que certaine conséquence résolue, que certaine volonté de demeurer fidèle à soi-même et que la crainte de se couper.»
2007-03
Soi
Les nouvelles nourritures terrestres
Il m'a depuis longtemps paru que la joie était plus rare, plus difficile et plus belle que la tristesse. Et quand j'eus fait cette découverte, la plus importante sans doute qui se puisse faire durant cette vie, la joie devint pour moi non seulement (ce qu'elle était) un besoin naturel — mais bien encore une obligation morale. Il me parut que le meilleur et plus sûr moyen de répandre autour de soi le bonheur était d'en donner soi-même l'image, et je résolus d'être heureux.
J'avais écrit : « Celui qui est heureux et qui pense, celui-là sera dit vraiment fort » — car que m'importe un bonheur édifié sur l'ignorance ? La première parole du Christ est pour embrasser la tristesse même dans la joie : Heureux ceux qui pleurent. Et comprend bien mal cette parole, celui qui n'y voit qu'un encouragement à pleurer !
2007-03
Vie/Bonheur
Les nouvelles nourritures terrestres
Certains des «problèmes» qui nous agitent sont, non point certes insignifiants, mais parfaitement insolubles — et suspendre notre décision à leur solution est folie. Donc passons outre.
— Mais avant d'agir, j'ai besoin de savoir pourquoi je suis sur cette terre, si Dieu existe et s'il nous voit, car dès lors il m'est indispensable qu'il m'aperçoive ; j'ai besoin d'abord de savoir si…
— Cherchez, cherchez. Cependant vous n'agirez point. Déposons vite ce bagage encombrant à la consigne ; et, comme Edouard, égarons aussitôt le reçu.
2007-03
Vie/Bonheur
Les nouvelles nourritures terrestres
Je me passai fort bien de certitude des lors que j'acquis celle-ci, que l'esprit de l'homme ne peut en avoir. Ceci reconnu que reste-t-il à faire ? S'en créer ou en accepter de factices et s'efforcer de ne les point tenir pour mensongères ?… ou apprendre à s'en passer. C'est à quoi je travaillai de tout mon cœur. Je n'admettais point que ce sevrage dût mener l'homme au désespoir.
2007-03
Vie/Bonheur Expérience
Les nouvelles nourritures terrestres
Me voici tout contraint par mon passé. Pas un geste, aujourd'hui, que ce que j'étais hier ne détermine. Mais celui que je suis en cet instant, subit, fugace, irremplaçable, échappe…
Ah ! pouvoir échapper à moi-même ! Je bondirais par-dessus la contrainte où le respect de moi m'a soumis. Ma narine est ouverte aux vents. Ah ! lever l'ancre, et pour la plus téméraire aventure… Et que cela ne tirât pas à conséquence pour demain.
Mon esprit s'achoppe à ce mot : conséquence. La conséquence de nos actes ; la conséquence avec soi-même. N'attendrai-je plus de moi qu'une suite ? Conséquence ; compromission ; cheminement tracé par avance. Je veux ne plus marcher, mais bondir ; d'un coup de jarret repousser, renier mon passé ; n'avoir plus à tenir de promesses : j'en ai trop fait ! Avenir, que je t'aimerais, infidèle !
2007-03
Expérience Liberté Soi Vie/Bonheur
Les nouvelles nourritures terrestres
« Il a fallu l'abominable interprétation des hommes pour établir sur l'Evangile un culte, une sanctification de la tristesse et des larmes. »
Lycée
Dieu/Religion
Les nouvelles nourritures terrestres
« La possession parfaite ne se prouve que par le don. Tout ce que tu ne sais pas donner te possède. »
Lycée
Liberté
Si le grain ne meurt
« Au fond de tout déboire gît, pour qui sait l'entendre, un ça t'apprendra. »
Lycée
Expérience
Si le grain ne meurt
« [à propos de sa mère] et j'en étais à ce point excédé que je ne sais plus trop si mon exaspération n'avait pas à la fin délabré tout l'amour que j'avais pour elle. Elle avait une façon de m'aimer qui parfois m'eût fait la haïr et me mettait les nerfs à vif. Imaginez, vous que j'indigne, imaginez ce que peut devenir une sollicitude sans cesse aux aguets, un conseil ininterrompu, harcelant, portant sur vos actes, sur vos pensées, sur vos dépenses, sur le choix d'une étoffe, d'une lecture, sur le titre d'un livre. »
Lycée
Parents-enfants
Si le grain ne meurt
« Surtout, j'aurai voulu me faire aimer, je donnais mon âme en échange. »
Lycée
Soi Autres_(les)
Voyage au Congo
Puissé-je, même alors et vieillissant, maintenir en moi l’harmonie. Je n’aime point l’orgueilleux raidissement du stoïque ; mais l’horreur de la mort, de la vieillesse et de tout ce qui ne se peut éviter, me semble impie. Je voudrais rendre à Dieu quoi qu’il m’advienne, une âme reconnaissante et ravie.
2011-02
Vie/Bonheur