Troisième partie : Le Bain Turc,
testament d'un artiste
 

I - Histoire du Bain Turc

Toute œuvre remarquable a une histoire, celle de ses sources, celle de ses commanditaires, celle de ses critiques. Le Bain Turc fait d'autant moins exception à la règle qu'il a suscité, à cause de son caractère sulfureux, bien des commentaires.

La source

On a déjà évoqué le relatif manque d'imagination d'lngres, du moins en ce qui concerne l'invention des sujets. L'idée du Bain Turc, et de la plupart des éléments qu'il contient, lui ont été soufflés par Lady Mary Wortley Montagu, dont nous avons déjà cité le témoignage. De sa description, Ingres retient donc les épais tapis rouges sur lesquels reposent les baigneuses, la nudité totale de celles-ci la présence des esclaves noires, elles aussi dénudées. Dans d'autres extraits des lettres de Lady Montagu, il reprend ridée d'un groupement important de femmes : "Il y avait bien là deux cents baigneuses." Plus loin, on trouve : "Après le repas, on finit par donner le café et les parfums, ce qui est une grande marque de considération. Deux esclaves à genoux encensèrent pour ainsi dire mes cheveux, mon mouchoir, mes habits." Ingres traduit ceci par la présence au premier plan d'une nature morte comportant quelques tasses, et surtout par la présence d'une baigneuse blonde - peut-être Lady Montagu elle-même ? - dont la chevelure est parfumée par une autre femme. Les beaux corps pâles, les cheveux tressés de plusieurs baigneuses, notamment celle du premier plan, sont inspirés par le détail suivant : "Il y en avait plusieurs de bien faites, la peau d'une blancheur éclatante, et elles n'étaient parées que de leurs cheveux, séparés en tresses qui tombaient sur leurs épaules, et qui étaient parsemés de perles et de rubans... ". La démarche majestueuse de la grande turque à la coiffe jaune répond à : "Elles marchaient et se mettaient en mouvement avec cette grâce majestueuse." Le reste du sujet fut suggéré à Ingres par des gravures emblématiques de la mode turque, sur lesquelles nous reviendrons.