La sensualité
du Bain Turc
Le Bain Turc peut apparaître comme un hymne à la femme. On y retrouve beaucoup de celles qu'Ingres a connues : la foule plus ou moins anonyme des modèles, bien sûr ; mais aussi sa première femme Madeleine Chapelle ; l'une des baigneuses du groupe entrelacé au premier plan semble arborer les traits de Delphine Ramel, sa seconde épouse ; le visage de la blonde est celui Adèle Maizony de Lauréal, cousine de Madeleine. Ingres met toutes ces femmes à nu, sur un pied d'égalité, et les rassemble comme pour un adieu.
Mais plus que la collecte sentimentale de visages aimés, Le Bain Turc
est l'occasion de multiplier les nus, les courbes sensuelles de ces vingt-cinq
femmes. Ce n'est pas un hasard si Khalil Bey s'est intéressé à cette production
: la toile dégage une véritable puissance érotique. Si le tondo était chez les
classiques une forme utilisée pour les sujets religieux, on peut considérer
qu'Ingres s'est choisi un autre objet de dévotion, ou plutôt qu'il a détourné
l'utilisation primitive de cette forme ronde. Le tondo apparaît ici comme une
sorte de judas par lequel un il voyeur observe ces chairs offertes à sa
vue. Non seulement ces femmes semblent offertes, mais plusieurs d'entre elles
se pâment, tandis qu'une autre, la tête renversée, se délecte d'un fruit ou
d'un autre mets quelconque. Le couple du premier plan évoque assez nettement
le saphisme : la main qui caresse le sein appartient-elle à la propriétaire
de celui-ci ou à l'amie contre laquelle elle se serre ?
Reste la mystérieuse joueuse de tchégour, qui depuis la baigneuse
Valpinçon, nous dérobe son visage. Faut-il voir là le
symbole d'une insatisfaction ? d'un ultime fantasme ? Nul ne le
saura...