III - L'orientalisme & Ingres

Ingres s'est intéressé à l'orientalisme, mais de façon très sélective. On ne trouve pas chez lui de scène de chasse, de scènes bibliques, de paysages orientaux. L'orientalisme ingresque est uniquement composé de bains et d'odalisques, c'est-à-dire de nus plus ou moins audacieux.

Les odalisques
 

Ingres n'a jamais voyagé dans un quelconque pays d'Orient. Il utilise donc pour composer ses tableaux des représentations, gravures, miniatures, qui ne sont pas toujours de première main. Il reprend par conséquent la vision des femmes orientales propre à son temps : belles alanguies au corps svelte et aux formes agréables, se prélassant sous la garde d'un esclave, et dont la torpeur est accompagnée de musique.

C'est dans ce cadre que se situe L'odalisque à l'esclave. Etendue, abandonnée, recouverte à mi-corps d'un voile qui ne masque rien de ses lignes voluptueuses, entourée d'un esclave noir, d'une musicienne, d'un narghilé et d'un chasse-mouche, cette odalisque reprend tous les thèmes, accessoires, caractéristiques du genre. On ne peut donc pas dire qu'Ingres ait une vision très originale de l'orientalisme. Néanmoins, ce dont le sujet manque en originalité, il le gagne par la perfection de la réalisation.
 

La Grande Odalisque est peut-être d'une plus grande originalité. Certes, on y retrouve chibouks, chasse-mouches, turbans et pierreries, mais le décor, aussi bien le lit que les tentures bleues, semble bien plus européen qu'oriental. L'odalisque elle-même, avec son regard teinté d'arrogance, ressemble plus à une courtisane occidentale qu'à une femme de harem. 

Si l'on tient compte du contexte social extrêmement puritain, le sujet est donc beaucoup plus audacieux : car s'il est permis de représenter des femmes dénudées dans le cadre d'un harem, cela devient plus condamnable dans un décor européanisé, le scandale causé par l'Olympia de Manet le révélera. De plus, l'érotisme de La Grande Odalisque est plus complexe que celui de la plupart des nus orientalistes. Présentée de dos, cette femme aux courbes monstrueuses, d'un point de vue anatomique, cache nombre de ses attraits, se laissant ainsi désirer. Sa posture, d'apparence lascive et indolente, est en fait compliquée et a de forts accents maniéristes. Ingres revisite donc totalement l'érotisme orientaliste. Encore une fois, si le sujet n'est pas orignal, son traitement le sauve amplement de la banalité.