Justification du maître

Il serait impensable de nier ces déformations, même si elles ne frappent pas toujours d'emblée. En effet le simple coup d'œil d'un regard inexpérimenté ne suffit pas à les débusquer. C'est que ces courbes monstrueuses s'harmonisent parfaitement avec la composition des œuvres qui les recèlent. Il ne s'agit pas chez Ingres d'un manque de maîtrise du dessin, domaine dans lequel il excelle depuis ses débuts. Ses déformations sont volontaires, Ingres s'attachant bien plus à l'harmonie des lignes d'une œuvre qu'à la vérité anatomique. Son dessin est d'une profonde originalité, et diffère beaucoup des maîtres dont il s'inspire : Raphaël n'eût jamais pris de telle liberté avec le corps humain. Ingres, lui, stylise beaucoup sa représentation, évidant la forme extérieure de ses lignes intérieures pour lui donner plus de force. "Les belles formes, dit-il, sont celles qui ont de la fermeté et de la plénitude, et où les détails ne compromettent pas l'aspect des grandes masses". Ou encore : "il faut modeler rond et sans détails intérieurs apparents". Cet amour des contours lisses et continus amène Ingres à beaucoup utiliser le calque, qui lui permet d'éliminer progressivement les traits qui le gênent. Sous le crayon, la forme évidée finit par s'étirer, parfois démesurément. Là encore, Ingres justifie sa méthode : "Pour exprimer le caractère, une certaine exagération est permise, nécessaire même quelquefois, mais surtout là où il s'agit de dégager et de faire saillir un élément du beau." Effectivement ces déformations ne constituent pas réellement une agression envers le corps humain. Elles mettent en valeur des aspects de celui-ci, tout particulièrement des beautés du corps féminin.