L'Origine des Figures

Ingres n'a fait appel pour Le Bain Turc à aucun modèle. L'accumulation, pendant quarante ans, de dessins, de gravures, d'études diverses, ne rend plus la pose nécessaire. On peut donc reconstituer une histoire pour la plupart des figures du Bain Turc.
 


Madame Moitessier
Plusieurs figures sont issues de gravures de mode ou d'anciens tableaux. Ainsi le personnage qui derrière la danseuse, tient une tasse de café, est tiré d'un calque d'une "femme juive en habit de cérémonie", qu'Ingres a déshabillée pour la placer d'abord à gauche de La Baigneuse Bonnat. On la revoit donc dans le Bain, avec toutefois une modification quant à la position de sa main droite : Ingres reprend ici la pose prise par Madame Moitessier pour son portrait. On retrouve la même main "poulpe", désossée.


juive en habit de cérémonie


 
 

Il en est de même pour la danseuse, et l'esclave qui raccompagne : à partir de la gravure d'une "fille turque dansant devant son maître" Ingres a fait deux personnages. Il décalque la danseuse, et avec l'intervention d'un modèle, il modifie la position de ses bras. La figure est utilisée une première fois dans La Baigneuse Bonnat. Elle est reprise dans Le Bain Turc. L'esclave au tambourin a, quant à elle, été décalquée inversée par rapport à la gravure, si bien qu'elle devient gauchère. Son parcours est le même que celui de la danseuse.


 
 

D'une "fille turque à qui on tresse les cheveux", Ingres tire un groupe qui après avoir figuré dans la Petite baigneuse, devient celui de la belle blonde dans le Bain Turc. Une "turque allant au bain" est déshabillée, et placée de manière à être non plus suivie mais précédée de son esclave, celle qui porte le vase recouvert d'un tissu rouge.


 
 

Plus intéressant est le cas d'une "femme turque reposant sur un sofa " : Ingres à nouveau la dénude, la décalque inversée. Il fait ensuite poser sa femme Madeleine : cela donne l'étrange étude de la Femme aux trois bras. C'est elle qui constitue, avec un nombre convenable de membres supérieurs, bien sûr, la femme qui occupe le premier plan de la version définitive du Bain Turc.

La femme pâmée, dont trois femmes espiègles troublent le bien-être, vient d'une étude réalisée, à l'aide de la modèle Mariette, pour L Âge d'or.
Le visage de la femme étendue devant la baigneuse blonde, aussi étrange que cela puisse paraître, est issu du très pieux Voeu de Louis XIII : c'est le visage de l'un des anges.
 

Le cas de la joueuse de tchégour est plus complexe. La position de ses bras par rapport à l'instrument a été dictée par une gravure, déjà utilisée pour la musicienne de L'odalisque à l'esclave. Mais son dos, sa tête sont visiblement ceux de la Baigneuse Valpinçon, mêlés toutefois à des éléments de la Baigneuse à mi-corps : en effet le bras gauche, légèrement écarté, laisse deviner un sein comme c'est le cas dans cette toile.
Le Bain Turc est donc une synthèse très réussie des œuvres orientalistes d'Ingres. Mais, plus encore qu'un condensé de ses toiles, on peut voir dans ce tableau, l'emblème de toute la pensée picturale ingresque.