La composition

Les mutations intervenues concernent, d'une part, le décor : disparition du rideau à gauche, transformation de la porte, ajout d'une niche abritant un vase. Le fond est assombri.
 

Les métamorphoses touchent, d'autre part, les groupes de femmes: les agrandissements du cadre créent des vides dans la composition ; Ingres les comble par rajout d'un groupe de femmes derrière la musicienne noire, également par l'addition d'une femme étendue au bord du bassin. 
Au premier plan, la femme allongée disparaît en partie : seul subsiste son visage caché par l'une de ses mains. Ses jambes sont, quant à elles, remplacées par une nature morte, une table portant une tasse à café, une soucoupe, et autres ustensiles témoignant d'une collation qui vient d'être prise.


 
 

Les autres groupes sont maintenus : la danseuse jouant des castagnettes, secondée par l'esclave noire au tambourin ; les deux femmes mangeant et buvant, servies par une autre esclave ; les trois femmes qui en taquinent une quatrième.
la turque à la coiffe jaune, précédée de son esclave, portant un vase recouvert d'un tissu rouge ; la blonde, coiffée par deux autres esclaves ; les trois femmes " agglomérées " - pour reprendre l'expression de Claudel - au premier plan 
enfin le personnage principal, la mystérieuse joueuse de tchégour, qui nous dérobe son visage.


 
 

Il n'y a apparemment pas eu de schéma d'ensemble pour la composition du Bain Turc. Ingres semble n'avoir produit que des études de groupes. Il a donc juxtaposé sur la toile définitive les différents ensembles préparés individuellement. Peut-être est-ce de là que vient l'impression d'accumulation un peu arbitraire des figures. Il serait néanmoins simpliste de prétendre qu'il n'y a dans le Bain Turc aucune ligne de force. Un cercle, pas exactement concentrique à celui du tondo, peut être dessiné, en suivant le corps des baigneuses qui bordent la toile. Quelques rares lignes droites se dégagent (le bassin, la marche, la niche, la porte, la table) : leur présence n'est là que pour faire ressortir plus intensément l'extrême enchevêtrement des courbes des corps, encore renforcées par celles des objets (vases, tasses, soucoupes, pots, encensoir ont des formes circulaires).

L'ensemble est assez sombre. Un unique rayon de lumière tombe sur la joueuse de tchégour. Néanmoins, la palette de couleur est assez importante, exploitant toute la gamme des jaunes, des bruns, des rouges (tapis, tissu recouvrant le vase de l'esclave, lèvres ... ). Quelques pointes de bleu (voile de la turque, pièce de tissu du premier plan) viennent refroidir cet ensemble si oriental de couleurs chaudes.
Couleurs, groupements des personnages, postures alanguies des corps nus, semblent bien traduire l'atmosphère étouffante, sensuelle et paresseuse des hammams.