Ingres et la critique


En évoquant la vie du peintre on a vu que les jugements des critiques ne l'avaient pas toujours encensé, loin s'en faut. En 1806, Landon le qualifie de gothique, le surnomme Jean de Bruges, en référence à Van Eyck. Tout au long de son existence et même après celle-ci on critique son dessin, on s'affole devant les "monstres" qu'il a produits. A ces critiques rajoutent toutes celles que nous avons évoquées précédemment. Néanmoins certains critiques, sans volonté courtisane, sans flagornerie, semblent avoir compris l'œuvre d'Ingres. Baudelaire est de ceux-là:

"(. ) nous croyons utile de redresser quelques préjugés singuliers qui ont cours sur le compte de M. Ingres parmi un certain monde, dont l'oreille a plus de mémoire que les yeux. Il est entendu et reconnu que la peinture de M. Ingres est grise. - Ouvrez l'œil, nation nigaude, et dites si vous vîtes jamais de la peinture plus éclatante et plus voyante, et même une plus grande recherche de tons ? (..) Il est entendu que M. Ingres est un grand dessinateur maladroit qui ignore la perspective aérienne, et que sa peinture est plate comme une mosaïque chinoise - à quoi nous n'avons rien à dire si ce n'est de comparer la Stratonice, où une complication énorme de tons et d'effets lumineux n'empêche pas l'harmonie, avec la Thamar, où M. H. Vernet a résolu un problème incroyable : faire à la fois la peinture la plus criarde et la plus obscure, la plus embrouillée ! Nous n'avons jamais rien vu de si en désordre. Une des choses, selon nous, qui distingue surtout le talent de M. Ingres, est l'amour de la femme. Son libertinage est sérieux et plein de convictions. M. Ingres n'est jamais si heureux et si puissant que lorsque son génie se trouve aux prises avec les appas d'une jeune beauté. Les muscles, les plis de la chair, les ombres des fossettes, les ondulations montueuses de la peau, rien n'y manque. Si l'île de Cythère commandait un tableau à M. Ingres, à coup sûr il ne serait pas riant et folâtre comme celui de Watteau, mais robuste et nourrissant comme l'amour antique. " (in Le Corsaire-Satan, 21 janvier 1846)

Baudelaire, bien que lui préférant Delacroix, ne nie donc pas son amour pour Ingres, et sa critique fait le point sur un bon nombre de clichés. L'un d'entre eux, déjà évoqué en filigrane, concerne le prétendu manque de maîtrise d'Ingres dans le dessin des corps humains. C'est ce dernier point que nous allons maintenant éclaircir.
 


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