Le concert campagnard

(1510)

 

Ce tableau a d'abord été attribué au Giorgione, mais certaines caractéristiques picturales (notamment la taille importante des personnages, toujours très petits dans les paysages du Giorgione) le font désormais attribuer de façon certaine au Titien. Ce tableau, qui représente deux femmes nues et deux hommes habillés, inspirera le Déjeuner sur l'herbe de Manet.


Les nudités sont allégoriques (elles ne sont d'ailleurs pas regardées par les hommes). L'une puise ou verse de l'eau dans un puits antiquisant. Dans la première version du tableau, elle versait l'eau de façon non équivoque. Le Titien a probablement voulu l'ambiguïté de la version actuelle. En effet, elle confère une valeur sémantique plus riche. Si la femme puise, elle symbolise le poète à la recherche de l'inspiration. Si elle verse, elle incarne alors la tempérance. Quelle que soit son action, sa pose, debout, indique qu'elle représente la vertu, les valeurs de l'esprit. Au contraire, la femme assise représente la voluptas, d'autant plus qu'elle tient une flûte, instrument réputé peu noble.
L'homme en rouge (couleur de la passion) est un personnage de cour. Il pourrait appartenir à la confrérie des chausses, dont les membres avaient pour coutume de porter des chausses bicolores (ce qui laisserait supposer que le commanditaire du tableau puisse être un membre de la confrérie). L'autre homme est un berger.

Une symbolique des instruments, déjà évoquée, est utilisée ici, en relation avec les débats de l'époque. La polémique oppose les instruments à cordes (référence à Apollon), aux instruments à vent (sous l'égide de Pan), les premiers étant jugés supérieurs aux seconds, car moins sensuels.
Les personnages sont reliés entre eux par le regard. La femme assise contemple le berger, qui contemple l'homme en rouge. Cette mise en relation des personnages par l'effleurement du regard est héritée du Giorgione. Elle symbolise ici une inspiration à quelque chose de plus haut.

La lumière, issu du coin en haut à gauche, enveloppe les formes de manière à créer le volume. L'utilisation du contraste est moins systématique que chez Bellini. L'alternance sombre/clair est remplacée par une alternance entre couleurs chaudes et froides. Les couleurs chaudes, captées en priorité par l'œil, font avancer certains éléments : la profondeur paysage est créée par la couleur.

On a cru trouver le modèle littéraire du tableau dans l'Arcadia de Sanasarro (1504). L'œuvre conte l'histoire d'un jeune homme amoureux qui attend de sa belle un amour si élevé qu'il préfère renoncer et partir en Arcadie vivre au milieu des bergers. Alors qu'il baigne dans la nostalgie de cet amour hautement spirituel jamais atteint, il rencontre un homme qui lui fait part de l'existence d'amours plus sensuelles. C'est peut-être ce passage qui est représenté par le Titien.