Introduction

Lorsque Ingres commence à peindre, en 1848, Le Bain Turc, c'est un homme âgé et on ne peut plus mûr qui s'exprime. Mais que professe-t-il donc ? Se prononce-t-il une fois de plus en faveur d'un classicisme intransigeant ? Prône-t-il à son habitude la supériorité de la ligne sur la couleur ? Bref, apporte-t-il, une nouvelle fois, de l'eau au moulin de tous ceux qui caricaturent son art, encouragés involontairement par les préceptes que le maître lui-même défend farouchement, sans percevoir quels démentis sa propre peinture leur inflige parfois ? La réponse à ces questions peut être positive ou négative. Tout dépend de l'œil que l'on jette sur cet ultime chef-d'œuvre. Un regard mal intentionné verra cette toile comme "une galette d'asticots". Un esprit mieux disposé, plus lucide peut-être, comprendra le tableau comme l'expression, dans un décor oriental en vogue, d'une sensualité encore jeune, d'un idéal pictural fait de lignes pleines, dont la bizarrerie ponctuelle ne manque ni de beauté, ni d'intérêt. Au cours de cette petite étude, nous tâcherons d'élucider ces questions, en présentant d'abord Ingres, sa peinture. Puis, après avoir défini le cadre orientaliste dans lequel se situe l'œuvre, nous montrerons combien Le Bain Turc, emblématique de l'ingrisme, peut remettre en cause les critiques et les propres préceptes de celui qui l'a peint.