Le chevalier, la femme et le prêtre

Introduction

Chap I : les mariages de Philippe

Concile de Clermont tenu par Urbain II en 1095 : volonté de l'église de réformer les mœurs de la société. Croisade. Excommunication de Philippe Ier. Rapports de force entre le temporel et le spirituel, le second cherchant à s'imposer au premier. Philippe est coupable, aux yeux de l'église, d'adultère et surtout d'inceste. Philippe résiste. La réconciliation intervient assez tard. Suger, pour valoriser Louis VI, jettera l'opprobre sur son père. Pourtant celui-ci n'est guère fautif. Ce n'est pas son dévergondage qui est condamné mais son utilisation du mariage, qui choque l'Eglise réformatrice. La majorité du clergé ne lui est pas défavorable. Et n'ayant eu qu'un fils de sa première femme, il devait assurer sa descendance en en prenant une deuxième, et en garantir la légitimité par le mariage.

Le mariage assure la répartition des femmes entre les hommes et permet de distinguer les héritiers légitimes des autres.

Chap II : morale des prêtres, morale des guerriers

Initialement, désaccord au sein de l'Eglise sur le mariage. Elaboration d'une théorie à partir de quelques extraits de la Bible: “II n'est pas bon que l'homme seul”. La femme apparaît comme subordonnée. “L'homme s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair”. Le mariage permet l'unité. Jésus proclame que le mariage est indissoluble. Le mariage est toléré comme un moindre mal par les premiers chrétiens. On conseille aux femmes d'êtres soumises, aux maris de chérir leur épouse. Le mariage est la solution de ceux qui ne peuvent s'abstenir.

Développement de l'idéal de pureté et d'ascèse. Influence de la philosophie. Jérôme combat le mariage, l'homme prostitue sa femme en l'aimant trop. Saint Augustin associe le corps, la femme et le mal. Mais pour lui, le mariage limite la nocivité de l'acte sexuel et de la femme.

Pendant la renaissance carolingienne, le statut du mariage évolue. On comprend qu'il peut être un moyen de canaliser la sexualité et on se soucie de le moraliser. La morale matrimoniale se résume à monogamie, exogamie, répression du plaisir.

Le mariage est progressivement sacralisé pendant la période carolingienne. Les interdictions se précisent (parenté, monogamie absolue). Règles incompréhensibles pour définir l'inceste.

Ce système s'oppose au départ à la conception laïque du mariage : pour les chevaliers, celui-ci doit avant tout permettre de transmettre le sang valeureux du père avec le concours de la mère. Cette vision s'accommode mal de tous les interdits incompris de l'Eglise.

Répression du rapt. La légalisation d'un couple ainsi formé dépend uniquement de la volonté des parents de la femme, sauf si celle-ci était déjà promise. Souvent le rapt est pourtant simulé, pour se débarrasser d'une femme ou éviter les frais de mariage. Le rapt est aussi une sorte de rite social, réservé aux jeunes. La répression des rapts est plutôt la volonté des seniors.

Le mariage légal n'est pas la seule forme d'union. Le concubinage est toléré, car il permet d'assouplir les règles (pour les prêtres, la bigamie). Existence de contrats temporaires, les Friedelehe (la femme est officiellement prêtée plutôt que donnée, mariage de seconde zone).

Cérémonie de mariage ostentatoire et orientée vers la procréation. Lien entre la mémoire des ancêtres et la transmission du patrimoine. Ancêtres maternels passés sous silence, sauf parfois dans le choix des prénoms des enfants.

Les laïcs se méfient également de la femme. Ils craignent la trahison. Le mari a un pouvoir absolu sur sa femme. L'honneur domestique tient à la conduite de la femme. Sur ces points, il y a accord entre l'Église et les laïcs. Mais les deux morales s'opposent concernant l'inceste et la répudiation. Le bon sang est plutôt cherché parmi les proches et l'épouse inféconde doit être expulsée.

La morale matrimoniale de l'Église s'impose assez bien aux couches sociales inférieures. Le blocage se situe au sommet de la pyramide sociale. II s'accentue lorsque l'Eglise devient moins conciliante, par exemple en assimilant les enfants d'un concubinage à des bâtards éliminés de la succession.

Jean Scot Erigène (règne de Charles-le-Chauve) prétend qu'à l'Eden, l'union des sexes a eu lieu mais sans plaisir (simple fécondation). Et au paradis, la différence entre les sexes sera abolie. En attendant, mieux vaut s'abstenir. Le mariage est donc à nouveau condamné, la prohibition de l'inceste de plus en plus respectée. Exacerbation des pénitences à l'approche de l'an mil.

Première partie : XIe siècle

Chap III : le mariage selon Bourchard

Au 12e siècle est canonisé le roi d'Allemagne Henri, pour sa chasteté absolue envers sa femme Cunégonde, restée vierge. Les contemporains du roi, autour de l'an mil, ne font pas état de cette chasteté. Cette légende naît de la stérilité de leur mariage. Mais Henri se conforme pourtant à la morale des prêtres, puisqu'il garde Cunégonde alors qu'elle ne lui donne pas d'enfant et qu'il l'a choisie, pour respecter les règles sur l'inceste, dans un rang inférieur. Cette obéissance aux préceptes ecclésiastiques était peu commune à l'époque.

Publication par Bourchard d'un décretum, sorte de manuel de jurisprudence. Il établit une sorte de questionnaire pour enquêter sur les délits. On s'aperçoit que la fornication hors mariage est moins réprimée que tout ce qui peut se passer dans ou à la marge du mariage. Le mariage doit réguler la sexualité qui est au coeur du péché. Extrême méfiance envers la femme, sa frivolité, sa perversité. L'homme marié a moins d'excuses à ses fautes qu'un célibataire car il a de quoi calmer sa libido. Place particulière faite à l'inceste dans les péchés.

Chap IV : Robert le Pieux

Selon le moine bénédictin Helgaud, Robert le Pieux aurait décidé de mener une vie de pénitent pour racheter, comme le roi David, une entorse faite aux règles du mariage. Il s'est rendu coupable d'un double inceste, spirituel et de sang. Il n'a cependant pas épousé sa complice. Le moine oublie de dire que Robert eut également trois épouses, changeant sans attendre la mort de la précédente. Première femme imposée par le père et répudiée par indépendance. Volonté de prendre des femmes de rang de moins égal. Changement de femmes au rythme des alliances. Impératif de fécondité. Nombreuses entorses à la morale religieuse. Peu de protestations. L’inceste reste plus réprouvé que la polygamie.

Chap V : Princes et chevaliers

Les femmes répudiées, dont le mari ne devait normalement pas se remarier avant leur mort, se plaçaient sous la protection de l'évêque. Pour éviter un éventuel meurtre, le couvent était parfois proposé. Désinvolture des princes vis-à-vis de la morale matrimoniale. Logique patrimoniale acculant beaucoup de jeunes gens au célibat. Les dotations faites à la femme par le mari, dont elle jouissait pleinement au 10e siècle, vont en se réduisant au 11e. Les cessions deviennent temporaires. Le mari accroît son emprise sur le domaine de sa femme. Crainte pour les familles que le patrimoine cédé avec une fille échappe complètement à leur contrôle. Les stratégies patrimoniales et la raréfaction des mariages ont pour effet de soumettre plus étroitement le féminin au masculin et de renforcer la peur secrète des hommes envers les femmes.

Chap VI : les hérétiques

Développement des hérésies parallèle à celui de la féodalité et à la dégradation de la situation féminine. Appréciation morale des hérétiques sur le sexe et le mariage proche de celle de l'église. Rêve d'abolition de la sexualité et d'égalité avec les femmes. Si une partie des hérétiques veut le renoncement à la chair, une autre se révolte en fait contre l'institutionnalisation et la sacralisation du mariage. Ce refus a des bases théoriques : il paraît incongru de sacraliser l'oeuvre de chair. Cette théorie agrée à tous ceux qui voient d'un mauvais oeil l'immixtion des prêtres dans le mariage.

La doctrine ecclésiastique du mariage est défendue par les évêques. Société d'ordres, dont le plus haut est le clergé. Celui-ci doit sa haute position à sa pureté. C’est pourquoi il ne doit pas se marier. Mais le mariage doit être autorisé aux autres, pour que la survie de l'espèce puisse être assurée dans l'ordre. Célibat des moines et prêtres nécessaire pour justifier la domination du spirituel sur le temporel. Encouragé également par les logiques patrimoniales : les cadets mis au service de l'Église ne devaient pas avoir de fils légitimes. D'où l'interdiction du mariage. Lutte contre le nicolaïsme nécessitant un rassemblement sous l'autorité du pape au détriment du pouvoir des évêques. Contrôle du mariage amène une extension du rôle juridique de l'Eglise.

Deuxième partie : Autour de 1100

Chap VII : Vie de saints et de saintes

En condamnant les rois pour leur comportement marital, l'Eglise les met sur le devant de la scène, au risque qu'ils soient pris comme exemples. Pour compenser, elle désigne d'autres héros, les saints. Quelques exemples. Enseignements à tirer de ses récits : indissolubilité du mariage, soumission de l'épouse, nécessité de l'accord des deux parentés, sacralisation du mariage qui intègre la partie charnelle.

Chap VIII : Guibert de Nogent

Moine, Guibert se caractérise par son pessimisme, jugeant le siècle le mauvais. Il parle du mariage de ses parents (femme mariée trop jeune, pression de l'entourage lorsque le mariage n'est pas immédiatement consommé, pression sur la veuve pour qu'elle se remarie). Considère le concubinage de son père comme un péché. Mère au couvent. Influence des ecclésiastiques sur les veuves. Exemple de la frustration des fils cadets. Détestation des aînés, crainte du sexe et des femmes. Peu d'évolution sur les moeurs maritales au début du XIIe siècle. Rémanence de l'hérésie et du nicolaïsme. Est considérée comme concubinage toute liaison non bénie. Pourtant, dans la pratique, le mariage est peu sacralisé. Les premiers rites de bénédiction s'apparentent quelque peu à de l'exorcisme (autour du lit nuptial, par exemple). Ils se répandent progressivement. Néanmoins les préceptes ecclésiastiques sont souvent malmenés, détournés, le jeu de l'Eglise n'étant pas toujours clair. Guibert exagère aussi la part des pulsions sexuelles dans les comportements matrimoniaux, attribuant abusivement le pouvoir d'une femme à ses appâts alors qu'il est probablement dû à sa noble naissance. Constitution de nombreux couvents qui servent d'abri aux femmes, parfois renvoyées dans leur ménage par les évêques, la fuite au couvent étant parfois considérée comme une insoumission.

Chap IX : Yves de Chartres

Evêque avec une longue expérience monastique, Yves écrit un recueil juridique sur le mariage, qui, pour lui, doit être entièrement soumis à l'Eglise. Il rappelle les grands principes : consentement mutuel (les époux doivent avoir au moins 7 ans), indissolubilité, chasteté et soumission de la femme, monogamie, seule l'Eglise peut défaire un mariage, le divorce, même légitime, n'autorise pas le remariage. Cette théorie permet à Yves de contourner la contradiction entre indissolubilité et interdiction de l'inceste, cette dernière étant souvent utilisée pour contrer la première. Pragmatiquement, Yves conseille d'accepter les concubins qui veulent se marier. Pour lui, l'union charnelle n'est pas entièrement mauvaise, elle est nécessaire au mariage. En cas d'adultère, il tente avant tout de réconcilier. Il juge souvent les engagements trop précoces. A son époque, les rapts sont en régression. Il conteste quelque peu le droit des hommes à disposer des filles de la maison, sans leur consentement. Yves a beaucoup de mal à trouver les bases juridiques et bibliques de l'interdit de l'inceste, tel qu'il est posé par l'Eglise. Relative tolérance sexuelle pour les incidents au sein de la famille, pour favoriser l'indissolubilité. Marie est le symbole de la bonne épouse et de la bonne mère. Les contraintes sexuelles poussent à exalter sa virginité. Rapports homme / femme assimilés aux rapports entre Jésus et son Eglise. Au cours du XIIe siècle, le mariage comme sacrement est de plus en plus valorisé.

Selon Hugues de Saint Victor, l'échange des consentements mutuels est la chose la plus importante, même sans accord parental. Cela va à l'encontre des logiques lignagères. Volonté de désincarner le mariage, de le couper du charnel. Le reste de l'Eglise ne va pas aussi loin.

Troisième partie : XIIe siècle

Chap X : Dans la maison royale

Exemple de Louis VII. Divorce d'Aliénor pour inceste. Epouse une autre parente avec dispense papale. Elle meurt en couche. Il épouse une troisième femme, elle aussi sa parente, qui lui donne enfin un fils. Motifs des remariages : nécessité d'avoir un héritier et volonté de vivre dans le mariage pour ne pas brûler. Le divorce d'avec Aliénor se fait malgré l'interdiction papale. Le pape avait fait passer l'indissolubilité avant l'inceste, interdisant que ce dernier soit évoqué. L'inceste n'est finalement qu'un argument qu'on range ou qu'on sort.

Exemple de Raoul de Vermandois. Volonté du roi de contrôler le mariage de ses vassaux. Recul au milieu du XIIe siècle de la suprématie de l'interdiction de l'inceste. Saint Bernard met plus en avant l'indissolubilité d'un lien noué par l'Eglise. Volonté de renforcer l'autorité de l'Eglise. Difficultés matrimoniales de Philippe Auguste. Un seul enfant à l'issue de son premier mariage. Impuissance lors de la nuit de noces du second. Impossibilité d'utiliser l'interdiction de l'inceste pour annuler son mariage. Tente d'utiliser le motif de la non consommation. Le problème est réglé quand son fils à un fils mâle. Variations opportunistes de la position de l'Eglise sur le mariage. Hypocrisie et corruption liées à la règle de l'inceste. En 1215, la règle est sérieusement revue à la baisse.

Couronnement de la Vierge présente une célébration du mariage entre la Vierge-Eglise et le Christ-époux. Supériorité de l'époux puisque la Vierge est couronnée par son fils.

Chap XI : Littérature

Chap XII : Les sires d'Amboise

Emprise des vassaux et des seigneurs sur la cession des femmes. Celles-ci sont considérées comme des biens précieux à l'utilité stratégique (on peut céder une femme pour s'assurer la fidélité d'un vassal, sceller une alliance). Femme intéressante tant qu'elle est féconde, qu'elle a du patrimoine (au moins du bon sang) et qu'elle peut servir de monnaie d'échange. Droit féodal plus important que les droits de la parenté. Consentement de la femme de plus en plus important, même s'il est forcé. Violences lorsqu'elle n'est plus utile.

Chap XIII : Les comtes de Guines

Exaltation de la puissance sexuelle des mâles. Normalité de la bâtardise, bonne intégration de celle-ci. Danger du contrôle des naissances pour ne pas diviser le patrimoine : risque de ne pas avoir d'héritier mâle. Pas de mariage pour tous les mâles, car mariage implique la cession d'un territoire pour s'installer et donc une division. Coexistence entre des changements de femmes multiples chez les uns et un souci d'indissolubilité chez les autres. A partir du XIIIe siècle, le contrôle du mariage des mâles se relâche. Plusieurs explications : pression des jeunes célibataires ; croissance démographique et économique permettant un partage des richesses au sein des familles aristocratiques ; évolution du droit permettant de céder aux cadets une partie du patrimoine en leur faisant prêter serment d'allégeance à leur aîné. Celui-ci peut donc garder la main sur l'ensemble tout en permettant aux autres de s'installer en couple.

 
histoire/duby/chevalier.txt · Dernière modification: 2012/03/18 17:47 (édition externe)     Haut de page