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LA PIETA D'AVIGNON

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Le tableau, amené au Louvre en 1904 dans le cadre d’une exposition temporaire sur les primitifs français, a été offert au musée en 1905 par la Société des Amis de Louvre. Le tableau avait été repéré par Prosper Mérimée dans l’église de Villeneuve dès Avignon.

On ne possède aucun document d’époque sur le tableau. Néanmoins, l’identification du donateur agenouillé à gauche du tableau, le chanoine Jean de Montagnac, a permis de déterminer que l’œuvre avait probablement été réalisé pour une Chartreuse. L’œuvre a été attribué à Enguerrant Quarton (1544 - 1566), peintre d’origine picarde, influencé par les Flamands (Van der Weyden, Campin), qui s’est installé en Provence suite à l’invasion anglaise. L’identification s’est faite par comparaison avec d’autres œuvres de Quarton, présentant la même composition, des personnages ayant les mêmes caractéristiques physiques. Quant à la date de l’œuvre, elle a été déterminée par rapprochement avec la Pieta de Tarascon (Cluny) inspirée de la Pieta d’Avignon et datée avec certitude de 1457. Or on sait que la Pieta a été peinte peu avant : vers 1455-56.

Peint sur plusieurs planches de noyer, le tableau possédait probablement un ciel (baldaquin) mais pas de prédelle. La méthode de peinture a pu être identifiée. Le bois a été recouvert d’une couche blanche de craie et de colle. Celle-ci a été égalisée puis le dessin a été tracé avant l’application de la peinture à l’huile. Les feuilles d’or ont été apposées sur un fond rouge. Malgré une restauration, qui a fait réapparaître des éléments disparues dans l’ombre, le tableau reste bien plus sombre qu’il ne l’était à l’origine.

Les éléments du paysage, dessinés comme des silhouettes plutôt qu’en volume, représentent Jérusalem sur la gauche (allusion à un voyage du donateur dans la ville sainte) et le Mont Ventou à droite, lieu familier au peintre. Dans la ville Sainte, on peut identifier l’hippodrome de Constantinople, l’église du Saint Sépulcre (minaret et bulbe) ainsi qu’un mélange d’architecture islamique et provençale : ne connaissant pas lui-même Jérusalem, le peintre s’est inspiré de gravures et a complété avec les architectures qu’il connaissait.

La composition adopte une forme de tympan dont les arcs seraient formés par les corps inclinés de Marie-Madeleine et de Saint Jean et dont le centre serait occupé par la Vierge. Quant au corps du Christ, allongé sur les genoux de sa mère, il forme une courbe parallèle à celle du corps de la Vierge. On ne trouve finalement que deux lignes verticales fermes : les mains en prière de la Vierge et le donateur agenouillé en bas à gauche.

La Vierge, la tête couverte d’une voile blanc, porte une robe rouge et un manteau bleu doublé de blanc. Elle est la seule à porter un vêtement bordé d’or qui souligne son rôle de médiatrice (lien avec le fond d’or). L’étoile doré sur le manteau rappelle que la Vierge est appelée étoile du matin. Le thème de la Pieta est né en Allemagne et est très développé au Xve siècle. Chez Van der Weyden, la représentation de la Vierge est sensiblement différente de celle qui est proposée ici : Marie étreint le corps de son fils et l’embrasse. Le contact charnel est donc mis en avant. La Vierge de Quarton apparaît plus retenue, confiante dans la résurrection. Sa douleur est intériorisée. Elle est ainsi plus proche de la description qu’en donne l’Evangile qui rapporte que la Vierge se tenait droite au pied de la croix (stabat mater) et non évanouie ou pâmée. Cette représentation correspond au culte provençal de la force montrée par Marie lors de la mort de son fils. Elle offre à Dieu l’hostie du corps de Jésus : elle a parfois été considérée comme le premier prêtre (Sulpicien).

La douleur la plus expressive se manifeste chez Marie-Madeleine, à droite. Elle est vêtue d’un manteau rouge doublé de jaune, avec lequel elle essuie ses larmes. Sa tête ploie sous le chagrin. Elle exprime le repentir que devrait sentir le fidèle face au tableau. Elle tient à la main le traditionnel flacon de parfum en porcelaine.

Jean, à gauche, porte un habit bleu couvert d’un manteau vert. Son corps est parallèle à celui de Marie-Madeleine par rapport à un axe de symétrie constitué par la Vierge. Il tient la tête du Christ dans sa main gauche et retire la couronne d’épines de la main droite. Son geste est extrêmement délicat, exécuté par des mains extrêmement fines.

Quant au donateur, il est agenouillé en marge de la scène qu’il ne regarde pas. Il en a une vision intérieure. Son statut de chanoine est signalé par la présence de fourrure au bas de son vêtement. Le chapeau avec col montant, caractéristique du milieu du Xve, est posé par terre en signe de déférence.

Tous les visages ont des ossatures très marquées, notamment celui du Christ, dont le corps est également très émacié, exsangue. Ses lèvres sont bleuies. La plaie coule. Cette représentation rappelle l’image du suaire de Turin, qui avait probablement circulé dans le Midi à la fin du Moyen Age. La main morte conserve le geste de la bénédiction.

Des inscriptions en latin entourent le tableau. Il s’agit de lamentation de Jérémie, prêtées ici à la Vierge : " O vous tous qui passez par ce chemin, regardez et voyez s’il est douleur pareille à la mienne ". D’autres inscriptions figurent sur les auréoles, notamment les noms des personnages, entourés de motifs ornementaux. Pour la Vierge, il s’agit de fleurs d’ortie ou (d’églantine) dont les piquants symbolisent la souffrance. Pour Saint Jean, ce sont des fleurs d’hysope représentant la pureté, l’innocence et l’humilité. Pour Madeleine, ce sont des œillets symbolisant l’amour sacré.