Généalogie de la morale
Résumé de la 3eme dissertation
La 3eme dissertation de la Généalogie de la morale entreprend de répondre à cette question : “quel est le sens de l'idéal ascétique ?”
Pour l'artiste, aucun, répond Nietzsche. S'en suivent quelques considérations sur Wagner, un peu obscures pour les non-wagnériens.
Pour les philosophes, la préférence pour l'ascétisme relève d'un choix, celui des conditions optimales de travail, au détriment des entraves à l'oeuvre que pourraient constituer le mariage, la passion, la paternité, les affaires, la gloire. Il s'agit donc d'un ascétisme joyeux, affirmatif, exercé non par vertu mais parce qu'il permet les “conditions propres et naturelles à l'épanouissement de leur existence, à leur plus grande fécondité ” (mais pas à nécessairement à leur bonheur). De plus, explique Nietzsche, le philosophe a dû, à ses débuts, emprunter les habits du prêtre ascétique pour exister dans un temps de défiance vis-à-vis des contemplatifs.
A noter au sein de ces développements sur l'idéal ascétique et les philosophes :
- au chapitre 6 : la conception de l'esthétique chez Schopenhauer et l'origine de la théorie sur la volonté et la représentation. Pour Schopenhauer, la contemplation esthétique est désintéressée, non au sens kantien du terme, mais parce qu'elle ne relève pas de l'intérêt sexuel. Elle détourne du désir, de la volonté. Nietzsche y voit l'origine de la théorie de Schopenhauer selon laquelle la représentation permet de se délivrer de la volonté.
- au chapitre 8 : la faculté qu'a le vrai philosophe de se constituer un modeste désert au coeur même de la société, à l'écart de la ” pacotille d'aujourd'hui”.
Selon Nietzsche, l'idéal ascétique, bien qu'affichant une volonté de nier la vie, est une ruse de la vie, un expédient qui permet au prêtre de la dominer et par lequel il attache à elle les faibles, les malades. Le chapitre 14 constitue une charge virulente sur le danger que représentent les malades pour les biens portants : le risque d'une contamination par la pitié et la mauvaise conscience. Le bien-portant doit refuser la contamination, refuser le rôle de garde-malade, qui l'empêche d'accomplir son destin. Il doit se garder du dégoût ascétique pour l'homme et de la pitié.
Il faut donc un malade pour s'occuper des autres malades. C'est le rôle du prêtre ascétique, qui prétend les guérir. Mais c'est un mauvais médecin, car il apaise les souffrances sans en guérir les causes. Le prêtre ascétique change la direction du ressentiment, en la retournant contre celui qui l'éprouve pour en faire un pécheur, un coupable. L'envie ne doit pas le porter à chercher la cause de sa souffrance ailleurs qu'en lui-même. Pour apaiser cette souffrance, les médications préconisées par le prêtre ascétique sont les suivantes :
- affaiblir la vie pour tuer le désir et donc la souffrance.
- pratiquer une activité machinale (travail)
- les petites joies quotidiennes - au premier rang desquelles on trouve la bienfaisance.
- la formation de troupeaux au sein desquels on se tient chaud.
Avec de tels remèdes, loin de guérir, le mal s'aggrave. Le prêtre ascétique corrompt à la fois l'esprit et le goût. Nietzsche donne pour exemple la déchéance que représente selon lui le nouveau Testament par rapport à l'ancien : “Je n'aime pas le « nouveau Testament », on le devine ; cela m'inquiète presque d'être ainsi seul de mon avis au sujet de ce livre si estimé et si surfait (le goût de près de deux mille ans s'élève contre moi) : mais qu'y faire ! ”
Nietzsche recherche ensuite un idéal susceptible de s'opposer à l'idéal ascétique. Il refuse cet honneur au positivisme. Car le positivisme et l'idéal ascétique ont en commun un goût pour la Vérité conçue comme absolue, la foi en cette Vérité, en son excellence. S'ils s'interrogent et se contredisent sur son contenu, aucun d'entre eux ne s'interroge sur la valeur de la vérité elle-même. Nietzsche considère d'ailleurs que la science ne combat pas réellement l'idéal ascétique. En s'attaquant aux fadaises de la religion, elle fait ainsi évoluer ses représentations. En la débarrassant de ses illusions, elle la renforce, car il reste toujours un point d'interrogation inattaquable, que Kant a mis hors de portée. L'idéal ascétique devient “plus insaisissable, plus spirituel, plus séduisant.” Nietzsche considère également que la science, comme l'idéal ascétique, rapetisse l'homme (exemple de l'astronomie qui repense la place de l'homme au sein de l'univers).
Le nihilisme et athéisme ne s'opposent pas plus à l'idéal ascétique. Ils n'en sont que les dernières mutations. L'athéisme “est la catastrophe imposante d'une discipline deux fois millénaire de l'instinct de vérité, qui, en fin de compte, s'interdit le mensonge de la foi en Dieu.” C'est donc l'idéal ascétique qui est à l'origine de sa propre défaite : la morale chrétienne a tué le dogme et bientôt elle s'auto-détruira, quand la volonté de vérité aura pris conscience d'elle-même.
Le sens de l'idéal ascétique, conclut Nietzsche, est de combler le manque de sens qui entoure l'homme, incapable de s'affirmer et de s'auto-justifier. L'idéal ascétique donne un sens à la souffrance endurée par l'homme. Elle lui permet de vouloir, quitte à vouloir son anéantissement. Car ” l'homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout…”