Les yeux de Rembrandt

Quelques notes sur le livre de Simon Schama

Rubens

Rembrandt aurait aimé être le Rubens hollandais. C'est pourquoi S.Schama commence par proposer un portrait très fouillé de Rubens. La famille Rubens est originaire d'Anvers. Lorsque le conflit opposant l'Espagne aux Pays-Bas éclate, Jan Rubens, officiellement catholique mais favorable aux calvinistes, choisit de quitter la ville avec sa famille. En exil à Cologne, il a une aventure avec Anne de Saxe, la femme de Guillaume d'Orange. Une fois l'adultère découvert, Jan est emprisonné. Son épouse Maria, qui lui pardonne généreusement, finit par obtenir sa libération d'abord conditionnelle, puis totale à la mort du prince. Les Rubens se voient cependant interdire de revenir à Anvers. Maria y reviendra cependant après la mort de son mari, avec ses enfants. Pierre-Paul (1577-1640) et son aîné Philippe sont tous deux des élèves brillants. Tandis que Philippe s'oriente vers la philologie et le droit, devenant le disciple favori de Juste Lipse, son frère se révèle doué pour la peinture et est placé en apprentissage auprès d'Adam van Noort et Otto van Veen. Son talent lui vaut d'être remarqué par le duc Vincent de Mantoue, qu'il suit en Italie. Tout en exerçant ses talents auprès du duc, il complète sa formation en observant et copiant les maîtres italiens, notamment à Rome. Il accomplit pour le compte du duc une ambassade auprès du roi d'Espagne Philippe III, dont le cheminement constitue une rocambolesque aventure. La restauration en hâte de tableaux ayant souffert du voyage est une occasion pour lui de montrer que ces talents excèdent ceux que l'on prête généralement aux peintres flamands, ensevelis sous le mépris de Michel-Ange. De retour à Rome, où il passe avec son frère d'excellents et complices moments, il se voit confier d'importantes commandes de retables. C'est donc tout auréolé d'une gloire montante qu'il revient à Anvers, peu après l'enterrement de sa mère. S'il a la douleur de perdre son frère tant aimé, il a aussi la joie d'épouser Isabelle Brand et de mener à ses côtés une vie d'humaniste érudit et de peintre comblé par la fortune. Vivant dans une cité qui souffre et se dépeuple en raison des conflits persistants entre l'Espagne et les Pays-Bas, Rubens accepte une mission diplomatique visant à détacher l'Angleterre de la Hollande pour amener cette dernière à négocier une paix tant désirée. Malheureusement, l'Espagne ne suit pas les gouverneurs des Pays-Bas espagnols dans cette politique de conciliation et noue au contraire une alliance offensive avec la France. Celle-ci échoue peu après mais d'autres missions pacifiques échouent pareillement. Rubens se retire désabusé des affaires publiques. Au côté de sa nouvelle et jeune épouse, Hélène Fourment, il se consacre à la peinture et à sa vie d'honnête homme. Il meut en 1660, toujours adulé, avec un carnet de commande rempli. Sa femme brûle une partie des nombreux nus qu'il a peint d'elle et qu'elle juge indécents. Il reste cependant de nombreux témoignages du goût de Rubens pour la chair, notamment celle de sa femme.

Rembrandt

Rembrandt naît en 1606 ou 1607 à Leyde, ville calviniste et contre-remontrante, dans une famille de meuniers partagée entre un calvinisme modéré et le catholicisme maternel. Il étudie à l'école latine et s'inscrit à l'Université, sans que l'on sache s'il l'a ou non fréquentée. Le choix de devenir peintre n'est pas un choix bohême : Rembrandt espère connaître la même fortune que Lucas de Leyde ou Rubens. Il commence son apprentissage auprès d'un mauvais peintre, Jacob Isaacszoon van Swanenburg, avant de passer dans l'atelier du renommé Pieter Lastman, où l'a précedé Jan Lievens, lui aussi originaire de Leyde, qui sera son premier rival. Contrairement à d'autres peintres de son époque, aucun voyage en Italie ne vient compléter sa formation.
Les premières compositions de Rembrandt, sous l'influence de Lastman, ne sont pas très réussies, mais certaines témoignent déjà de son audace. La vue, les livres, constituent dès l'origine des sujets forts. Son talent mûrit dans une constante émulation avec Lievens. Les deux peintres sont repérés en 1629 par Huygens, alors à la recherche d'un Rubens néerlandais et protestant propre à servir la maison d'Orange. C'est le début d'une nouvelle carrière pour Rembrandt, surtout apprécié alors pour ses peintures religieuses (ces portraits de cour, peu flatteurs, séduisent moins).
En 1631, il va s'installer à Amsterdam. Il y devient le portraitiste des hommes d'affaires ou des personnages importants de la ville qu'il représente en action, contrairement aux peintures aristocratiques anglaises de la même époques qui montrent des personnages en train de ne rien faire. Il peint également de nombreux autoportraits. Par leur muliplication, il explore différentes identités en leur prêtant ses traits. Il se met dans la peau d'un quidam : contrairement à Rubens, il ne pose pas en humaniste, mais en homme quelconque et en acteur. Par ailleurs, dans tous les thèmes qu'il aborde, Rembrandt ne se pose pas en révolutionnaire (puisqu'il recherche la gloire et ne doit donc pas déplaire à ses clients) mais il renouvelle les genres. Dans le cas des portraits (d'individus, de groupes ou de couple), il introduit un dynamisme nouveau et jouent avec les règles habituelles du genre. Par ailleurs, il rejette l'italianisme idéalisant, auquel Rubens cédait partiellement, lorsuq'il s'agit de représenter le corps humain, notamment le corps féminin, qu'il dévoile dans toute sa matérialité, suscitant de nombreuses critiques. Ses représentations de femmes sont rendues plus réalistes par la retenue pudique de ses personnages, dont la nudité est exposée à leur corps défendant (cf. Suzanne), et des détails crus (cf. Ganymède). C'est l'humanité complète qui l'intéresse, et pas seulement ce qu'elle a d'idéal. Rembrandt n'est pas rebelle par conviction, mais sa volonté de séduire ses clients en innovant et ses convictions personnelles l'amènent à être transgressif sans le vouloir.
Il épouse en 1634 Saskia Van Uylenburgh, dont il a trois enfants : deux filles qui meurent peu après leur naissance et un garçon, Titus. Il s'endette fortement en achetant une maison et en collectionnant toutes sortes d'objets pour son cabinet de curiosité. Son atelier est alors florissant et il a de nombreux disciples. En revanche, si Rembrandt connaît un grand succès en tant que portraitiste, individuel ou de groupe (Tulp, la Ronde de nuit), il ne réussit pas à devenir le peintre des princes. Une commande d'Etat, portant sur des tableaux religieux, est un demi-échec. Rembrandt peine sur les compositions, enfermé dans un cadre religieux calviniste (alors que tous les modèles dont ils pourraient s'inspirer sont catholiques). L'exécution traîne et les réalisations ne comptent pas parmi ses plus grands chef-d'oeuvre. Il ne recevra pas d'autres commandes. Saskia meurt en 1642 en léguant ses biens à Titus. Rembrandt prend alors comme maîtresse Geertje Dircx, la nourrice de Titus. Mais bientôt, Hendrickje Stoffels, la gouvernante de l'enfant, remplace Geertje. Rembrandt chasse son ancienne maîtresse en signant avec elle un accord (pour une pension et l'ususfruit de bijoux qui doivent revenir à Titus) qu'elle cherche ensuite à remettre en cause, jusqu'à ce que Rembrandt réussisse, de manière peu glorieuse, à la faire interner dans un sordide établissement. Quand elle en sortira, Rembrandt sera ruiné et dans l'incapacité de payer la pension. La pauvre Geertje meurt en 1656, avant de voir la faillite de son ennemi. Pourtant celle-ci ne tarde pas. Le succès du peintre s'effiloche : alors que la peinture fine est à la mode, Rembrandt ne cherche pas à masquer la touche du peintre, bien au contraire. Ce style de plus en plus rugueux déplaît à une partie du public. D'autre part, ses créanciers, qui s'étaient montrés relativement patients, finissent pas réclamer leur dû. Les meubles, les objets d'art, les tableaux sont vendus, et bientôt la maison suit (Titus, qui en avait officiellement la propriété, réussira à récupérer plus tard le montant de la vente). Si le peintre produit encore des chefs-d'oeuvre, cela ne lui permet pas de renflouer ses caisses. Tous ceux qui l'entourent meurent les uns après les autres : d'abords Hendrickje, puis Titus, emporté en 1666 par la peste. Rembrandt meurt quant à lui en 1669, sans un sou devant lui et sans successeur. Ses derniers autoportraits montrent autant de modestie que les premiers étaient fanfarons : mais si son orgueil l'a finalement abandonné, sa manière de peindre est devenue au fil des ans plus radicale et sans concession.

 
peinture/rembrandt.txt · Dernière modification: 2009/02/14 17:33 (édition externe)     Haut de page