Quelques notes prises à partir du cours.
L'idée est un mode de pensée représentatif, c'est-à-dire qui représente une chose, une réalité objective. L'affect est au contraire un mode de pensée non représentatif. Un sentiment (espérance, amour…), en lui-même, ne représente rien, sauf s'il est associé à l'idée de l'être aimé, de la chose espérée. Il y a primat donc de l'idée sur l'affect, car pour aimer, par ex, il faut avoir l'idée, même vague, de l'objet de son amour. L'idée précède chronologiquement et logiquement l'affect.
L'idée a non seulement une réalité objective, mais aussi une réalité formelle, c'est-à-dire la réalité de l'idée en tant qu'elle est elle-même qqch. Cette réalité formelle est le caractère intrinsèque de l'idée, qui enferme plus ou moins de perfection (l'idée de Dieu, en elle-même, enveloppe plus de perfection que l'idée de la grenouille, qui est l'idée d'une chose finie).
L'affect peut quant à lui être également défini comme la variation continue de la puissance d'agir de quelqu’un, déterminée par les idées qui se succèdent en lui. Cette variation navigue entre deux pôles qualitatifs, la joie (augmentation de la puissance d'agir) et la tristesse (diminution de la puissance d'agir), qui définissent les modes d’existence. L'affect est actif quand notre essence est cause de cette variation, passif quand la cause est extérieure.
L’affection est l’état d'un corps subissant l'action d'un autre corps (l'effet du soleil sur ma peau). C’est le degré de connaissance le plus bas, car l’affection ne renseigne pas sur la nature des corps et les causes de leur action. Les affections sont donc des idées inadéquates, car elles séparent la connaissance des effets de la connaissance des causes.
A cela il faut ajouter que pour Spinoza, un corps est un rapport composé, complexe, de mouvement et de repos qui se maintient à travers tous les changements qui affectent ses parties. Ce corps se définit aussi bien par un rapport caractéristique que par son pouvoir d'être affecté. Si ce corps fait une mauvaise rencontre, cela l'affecte négativement (diminution de la puissance d'agir, tristesse, haine), en modifiant un des sous-rapports qui le constitue. Une très mauvaise rencontre (ex : manger de l'arsenic) détruit le rapport principal et le corps lui-même. Si la puissance d'agir diminue lorsqu’elle est affectée de la sorte, c’est parce qu'elle est mobilisée pour circonscrire, combattre la chose disconvenante. Une partie de ma puissance est fixée, soustraite à mon pouvoir de l’employer autrement. Si la rencontre est bonne, si le rapport du corps affectant se combine bien avec celui du corps affecté, la puissance d'agir est augmentée (joie). La combinaison des deux corps (ex : la musique et moi) forme une sorte de troisième entité qui contient les deux précédentes : la joie est expansion. L'affect varie donc en fonction des idées-affections rencontrées. Tant que nous restons passifs (dans le domaine de la passion), que nous ne dépassons pas ce stade de la connaissance, nous subissons ces variations et sommes séparés de notre puissance d'agir.
L'idée-notion concerne la convenance ou la disconvenance des rapports caractéristiques de deux corps. Elle permet de passer du constat de l'effet d'un corps sur un autre à la compréhension de la cause cet effet (pourquoi est-ce que j'aime untel et pas tel autre). C'est une idée adéquate. On n'y accède qu'à partir d'un affect joyeux. Car il est plus facile de former une notion commune à partir de deux corps qui se conviennent qu'à partir de deux corps qui ne se conviennent pas (en somme, la joie rend intelligent, pas la tristesse). Il faut aller de la compréhension de ce qui conduit à la joie pour aller vers la compréhension des affects tristes grâce aux notions communes acquises dans la première phase, et étendre ainsi le champ de la joie. Il n'y a pas de “il faut faire ceci ” absolu et moral. Il faut aller vers ce qui se compose avec nous.
Inséparable de son existence, l'essence d'une chose est “ce qui, étant donné, fait que cette chose est nécessairement posée, et qui, supprimé fait que cette chose est nécessairement supprimée”. Pour Deleuze, l'essence spinozienne c'est une quantité intensive, des seuils intensifs, propre à chaque chose. Le monde des essences serait pour Spinoza le monde des intensités.
L'essence s'appartient à elle-même sous la forme de l'éternité, l'affection appartient à l'essence sous la forme de l'instantanéité, l'affect appartient à l'essence sous la forme de la durée : les essences en elles-mêmes sont éternelles : mon essence particulière, c'est un certain degré de puissance ; l'affection que je rencontre ici et maintenant effectue ma puissance en fonction des circonstances : je suis aussi parfait, ici et maintenant, que je peux l'être en fonction des affections que j'ai ; l'affect, c'est la durée, le passage d'une affection à l'autre, entre deux états.
La philosophie de Spinoza est une philosophie de l'immanence : pour lui, Dieu ne se distingue pas du monde, ne se distingue pas de la créature. Il n'y a qu'une seule substance, qui possède tous les attributs. Les créatures ne sont que des manières d'être de cette substance. C'est une pensée ontologique, il n'y a pas d'unité supérieure à l'être, il y a identité entre l'être et les étants et égalité de tous les étants dans l'être, en cela que chacun effectue tout ce qu’il peut de sa puissance.
Pour le droit naturel classique, une chose se définit par son essence et l'état de nature est un état idéal (et non présocial), conforme à l'essence. Dans cette optique, les devoirs priment les droits, car ils permettent de réaliser l'essence. Enfin, le sage est celui qui dit quelle est l'essence et quels sont les devoirs permettant de la réaliser.
Hobbes inverse ses propositions. Pour lui, le droit naturel n'est pas l'essence de la chose, mais tout ce que peut la chose. L'état de nature est un état pré-social, dans lequel il n'y a pas d'interdits : tout ce que je peux est permis. Il en découle que ce qui est premier, c'est le droit et que le devoir ne vient qu'ensuite, pour limiter le droit. Cela implique également qu'il n'y a pas d'essence générale de l'homme ou des choses : il n'y donc pas besoin de la compétence d'un sage pour la définir et dire ce qui est bon pour tous. De plus, l'homme raisonnable n'est pas, du point du vue du droit naturel, supérieur au sage : chacun effectue sa puissance, autant qu'il y en ait en lui (la différence entre le fou et l'homme raisonnable se situe au niveau des affects par lesquels ils effectuent leur puissance).
Spinoza puise sa conception du droit naturel chez Hobbes, même s'il se détache de lui sur les implications de ces présupposés (pas de pacte par lequel chacun renonce à son droit naturel au profit du souverain). Il n'y a pas de différence hiérarchique (puisqu'il n'y a qu'une seule substance et que les étants sont égaux dans l'Etre). Mais il existe tout de même des différences entre les êtres : différences quantitatives (l'essence de chacun se définit par ce qu'il peut, par sa quantité de puissance) et qualitatives (modes d'existence, manière d'effectuer la puissance). Spinoza distingue deux manières d'être, celle de l'homme fort, libre et celle de l'impuissant. Parmi les impuissants, il classe le prêtre, le tyran, l'esclave qui ont en commun de juger la vie et de cultiver la tristesse. Il dénonce cette culture de la tristesse, où le pouvoir repose sur l'angoisse et la haine.
Blyenberg, dans sa correspondance avec Spinoza, reproche au philosophe de faire de la morale une affaire de goût lorsqu'il considère comme bon ce qui se compose harmonieusement avec mes rapports et comme mauvais ce qui décompose un de mes rapports. Spinoza doit donc démontrer que sa conception de la morale ne mêle pas vice et vertu en fonction de ce qui arrange un être ou un autre. Il commence par distinguer l'action (ex : frapper) - en elle-même ni bonne ni mauvaise - de l'objet sur lequel elle porte (un tambour ou la tête de qqn) et avec lequel elle établit un rapport d'association. Quand je frappe le tambour, mon action se compose harmonieusement avec lui. Quand je frappe la tête de qqn, mon action décompose son rapport. Si l'objet associé à l'action se compose avec elle, elle est bonne ; s'il se décompose, elle est mauvaise.
La chose se complexifie avec l'exemple de Néron et Oreste, meurtriers de leurs mères. Spinoza juge que l'action de Néron est mauvaise et celle d'Oreste juste. Car Néron associe à son acte l'image de sa mère, dont le rapport est directement décomposé par cet acte. Oreste, en revanche, associe son acte à l'image de son père, tué par sa mère, et recompose son rapport avec celui-ci. Son acte compose directement avec son père et décompose indirectement le rapport de sa mère.
Donc est mauvaise une action de décomposition directe, même si elle compose indirectement et est bonne une action de composition directe, même si elle décompose indirectement.