La mort des amants

 

 

 

Extrait de Tristan et Iseut par Thomas d’Angleterre

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Alors Tristan ressent une grande douleur, jamais il n'y en a eu et jamais il n'y en aura de plus grande. Il se tourne vers le mur et dit alors : " Que Dieu nous sauve, Yseult et moi ! Puisque vous ne voulez pas venir à moi, votre amour me tue. Je ne peux plus retenir ma vie. Je meurs pour vous, Yseult, ma belle amie. Vous n'avez pas pitié de ma souffrance mais vous éprouverez la douleur de ma mort. C'est pour moi, mon amie, un grand réconfort que de savoir que vous pleurerez ma mort ". Il dit trois fois " Amie Yseult ", à la quatrième il rend l'esprit.

Alors, dans toute la maison, les chevaliers et les compagnons se mettent à pleurer. Ils se lamentent tout haut car leur peine est grande. Les chevaliers et les sergents s'avancent et soulèvent le corps de Tristan hors de son lit, puis ils le couchent sur un drap de satin et le recouvrent d'un tissu de soie brodée.
Le vent sur la mer s'est levé et il gonfle la voile : il fait venir le bateau à terre. Yseult a mis pied à terre et elle entend de grandes plaintes dans la rue, les cloches qui sonnent dans les églises et les chapelles. Elle demande des nouvelles aux gens : pourquoi sonne-t-on ainsi ? Pour qui donc sont toutes ces larmes ? Un vieillard lui répond : " Belle dame, que Dieu nous aide ! Nous subissons ici une immense douleur, si grande que personne n'en a jamais eu de telle. Le preux, le noble Tristan est mort : il était le réconfort de tous les habitants de ce royaume. Il était généreux envers ceux qui étaient dans le besoin. Il venait à l'aide de ceux qui souffraient. Il vient de mourir dans son lit d'une blessure qu'il avait reçue. Jamais une si grande calamité n'a frappé cette région ! "
Dès qu'Yseult apprend la nouvelle, elle devient muette de douleur. Elle est si affligée de la mort de Tristan qu'elle erre à travers les rues, les vêtements en désordre, et elle passe devant tout le monde, jusqu'au palais. Les Bretons n'ont jamais vu de femme aussi belle qu'elle : on s'étonne à travers la ville, on se demande d'où elle vient et qui elle peut bien être.
Yseut va droit vers le corps : elle se tourne vers l'Orient, elle prie humblement pour son ami. " Ami Tristan, quand je vous vois mort, il m'est impossible de trouver une bonne raison de vivre. Vous êtes mort de l'amour que vous me portiez, et moi je meurs, ami, de tendresse, puisque je n'ai pas pu venir à temps vous guérir de votre mal. Ami, ami, à cause de votre mort je ne trouverai jamais de réconfort en aucune chose. Je ne ressentirai jamais de joie, ni de gaieté, ni de plaisir à rien. Maudit soit cet orage, qui me fit tant rester en mer que je n'ai pas pu venir à vous ! Si j'étais arrivée à temps, je vous aurais rendu la vie, ami, et je vous aurais parlé doucement de l'amour qu'il y avait entre nous. J'aurais eu la douleur de raconter ma destinée, notre joie, nos réjouissances, la peine et la grande douleur que nous avons connues dans nos amours. Et je vous aurais rappelé tout cela, et je vous aurais pris dans mes bras, et je vous aurais embrassé. Si je n'ai pas pu vous secourir, mourons au moins ensemble ! Comme je n'ai pas pu venir à temps, et comme j'ignorais votre malheur, et comme je ne suis arrivée que pour vous trouver mort, c'est le même breuvage qui me réconfortera. Vous avez perdu la vie pour moi, j'agirai en véritable amie : je veux mourir pour vous de la même manière. "
Elle le serre dans ses bras, elle s'étend près de lui et embrasse sa bouche et son visage. Elle le tient tout contre elle. Elle s'est étendue, son corps contre le sien, sa bouche contre la sienne. Elle rend l'âme en un instant et meurt ainsi à ses côtés, de la peine qu'elle éprouve pour son ami. Tristan est mort de son amour ; Yseult parce qu'elle n'a pas pu venir à temps. Tristan est mort de son amour ; la belle Yseult de sa tendresse pour lui.